Commentaire du traité de Lisbonne - I
Le traité de Lisbonne est-il une Constitution déguisée?
Non.
Sur la forme
Il y a eu une "épuration sémantique".
Le mot "constitution" disparaît donc. De manière général, la terminologie utilisée dans le traité de Lisbonne (traité modificatif) est plus neutre afin d’éviter d’évoquer des caractères étatiques. Ainsi, le « ministre des Affaires étrangères » du traité constitutionnel devient-il « haut représentant », les « loi » et « loi-cadre »disparaissent et les termes actuels de « règlement » et « directive » sont maintenus.
La primauté du droit de l’Union européenne est "évacuée» dans une déclaration qui rappelle la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes et ne figure donc plus dans le corps du traité :
Déclaration relative à la primauté : "La Conférence rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'UE, les traités et le droit adopté par l'Union sur la base des traités priment le droit des États membres, dans les conditions définies par ladite jurisprudence. En outre, la Conférence a décidé d'annexer au présent Acte final l'avis du Service juridique du Conseil sur la primauté tel qu'il figure au document 11197/07 (JUR 260): Avis du Service juridique du Conseil du 22 juin 2007: Il découle de la jurisprudence de la Cour de justice que la primauté du droit communautaire est un principe fondamental dudit droit. Selon la Cour, ce principe est inhérent à la nature particulière de la Communauté européenne. À l'époque du premier arrêt de cette jurisprudence constante (arrêt du 15 juillet 1964 rendu dans l'affaire 6/64, Costa contre ENEL), la primauté n'était pas mentionnée dans le traité. Tel est toujours le cas actuellement. Le fait que le principe de primauté ne soit pas inscrit dans le futur traité ne modifiera en rien l'existence de ce principe ni la jurisprudence en vigueur de la Cour de justice".
Dans sa décision du 20/12/2007, le Conseil constitutionnel français estime d’ailleurs que le principe de primauté ne figurant plus dans le traité de Lisbonne, il "n'a pas eu à se prononcer, contrairement à ce qui fut le cas en 2004, sur le principe de primauté du droit de l’Union sur le droit national» (1).
La mention des symboles de l’Union européenne dans le traité n’existe plus : drapeau, hymne, devise (ce qui ne signifie pas qu’ils disparaissent : ils existent toujours dans une Déclaration).
Le traité de Lisbonne est un traité international par son mode d’adoption (signature par les états et ratification nationale selon les procédures constitutionnelles propres à chaque pays), par son mode de révision (unanimité des états), par la possibilité de le dénoncer. Cette définition avait déjà conduit le Conseil constitutionnel en 2004 à considérer que le traité constitutionnel était bien un traité et non une constitution (2).
Ce traité amende les traités actuels (d’où sa présentation qui le rend illisible puisqu’il s’agit de fragments de textes –les modifications- et de renvois pour le reste - les dispositions qui demeurent inchangées -aux textes en vigueur). Il y a en effet la numérotation du traité de Lisbonne, la numérotation des articles modifiés ou ajoutés dans les traités et la numérotation de la version consolidée de ces traités (après regroupement de leurs dispositions une fois les modifications intégrées). Un vrai jeu de piste…
Sur le fond (contenu)
Le traité de Lisbonne fusionne ce que l’on appelle aujourd’hui les piliers de l’Union Européenne:
Premier pilier : le pilier communautaire qui correspond aux trois Communautés d’origine : la Communauté européenne (CE) ; la Communauté européenne de l'énergie atomique (EURATOM) ; et ancienne Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), qui n’existe plus depuis le 22 juillet 2002 étant arrivé au terme fixé par le traité qui la créait;
Deuxième pilier : le pilier consacré à la politique étrangère et de sécurité commune ;
Troisième pilier : le pilier consacré à la coopération policière et judiciaire en matière pénale).
La Communauté Européenne (le premier piler actuellement) disparaît. Reste l’Union européenne, qui intègre les règles de fonctionnement et les compétences de la Communauté Européenne (ce que l’on retrouve dans le Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne -TFUE) avec une procédure de décision de droit commun (des domaines tels que les questions de politique étrangère et de défense restent régis par des procédures particulières).
Le traité de Lisbonne contient deux articles principaux (3) composés de très nombreux paragraphes.
L’article 1 modifie le traité sur l’Union européenne - traité de Maastricht (1992) (TUE) - sur des points comme les institutions, les coopérations renforcées, la politique étrangère et de sécurité ainsi que sur la politique de défense.
L’article 2 modifie le traité de Rome (1957) que l’on appelle couramment le traité instituant la Communauté européenne qui devient le « traité sur le fonctionnement de l’UE » (TFUE). Les modifications concernent les compétences et les domaines d’intervention de l’UE.
En définitive, qu’est ce qui change dans la nature juridique du texte?
Rien. Pas plus que le projet de traité précédent ne changeait rien (ce n’était pas non plus une constitution).
Qu’est ce que le traité de Lisbonne change sur le plan politique?
L’ambition s’est faite plus modeste. Le terme d’Etat fédéral est tabou et la construction européenne reste un système hybride qui déçoit les fédéralistes et excite les souverainistes (voir par exemple, les ahurissantes "analyses" d’Etienne Chouard et d’Anne-Marie Le Pourhiet (4).
En conclusion : ce nouveau traité se situe dans la ligne des précédents, sans prétendre, comme le faisait le traité constitutionnel, à avoir une valeur plus solennelle (encore une fois sur le plan symbolique, puisque sur le plan de la nature juridique et des effets, les deux textes sont des traités internationaux)
07/01/2008
Appendice : Des extraits d'un article qui j’avais rédigé en novembre pour le blog sans avoir eu l’occasion ensuite de le publier :
Etre ou ne pas être une Constitution européenne…dans un certain discours noniste
Qui martelait en 2005 que le traité constitutionnel était bien une Constitution, gravée dans le marbre, et que tous ceux qui prétendaient le contraire mentaient? Notamment, trois commentateurs nommés Jean-Pierre Gaillet, Robert Joumard, Rémi Thouly qui avaient rédigé un des «argumentaires» de campagne d’Attac intitulé «Dix mensonges et cinq boniments» et sous titré (on frémit) : «Les partisans du oui à la constitution européenne mentent délibérément ou travestissent la vérité. Ils trahissent l’Europe et les Européens» (5). Ces redresseurs de torts intrépides dénonçaient la félonie des partisans du oui accusés de mentir sans vergogne lorsqu’ils affirmaient que le traité n’était pas une Constitution et qu’il n’était juridiquement qu’un traité international signé entre les Etats souverains (mensonge n°1 dans leur "argumentaire").
Comme telle était la thèse que je m‘évertuais à défendre- bien vainement je dois dire, face à certains obstinés -, je me sentais fort déconfite d’être ainsi mise au ban de la bonne société démocrate et progressiste.
Me voilà rassurée, j’y serai en compagnie de l’auguste Bernard Cassen, Directeur du monde diplomatique, Président d’honneur d’Attac-France, pourfendeur de l’Europe ultra libérale et opposant farouche et talentueux au traité constitutionnel européen contre lequel il mena campagne.
Dans une interview récente, il nous confirme que : "le précédent traité n’était pas une constitution. C’était un traité exactement comme les autres, avec le même statut. On l’avait baptisé «constitution» au dernier moment, mais ceux qui l’ont élaboré, la Convention, n’ont jamais considéré que c’était une constitution. ..Il n’y a aucune modification de statut" (6). Voilà donc Bernard Cassen qui rejoint le clan des Pinocchio fustigés par Attac. Bienvenue à lui :-)
Mais pourquoi Bernard Cassen met-il tant d’insistance à prendre le contrepied de ce qui a été un des arguments majeurs de la campagne du non et dont il essaie à présent de minorer l’importance? La réponse ne manque pas de saveur. C’est que M.Cassen s’est avisé de l’habileté avec laquelle Nicolas Sarkozy a retourné à son avantage l’argument de la nature du texte en nous expliquant que, puisque le nouveau traité n’est pas une constitution mais un traité comme les précédents, il n’a rien à voir avec le texte rejeté par les français, et il est inutile de le faire ratifier par referendum. C’est pourquoi M.Cassen dénonce «un argument rhétorique utilisé par Sarkozy pour justifier le non-recours au référendum», ce qui est tout de même «culotté» quand on se souvient que les nonistes de tous bords (alter comme souverainistes) n’ont pas manifesté tant de réticences à utiliser et instrumentaliser un tel «argument réthorique» lorsque cela leur a convenu. C’est la fable de l’arroseur arrosé : les nonistes voient se refermer sur eux le piège qu’ils avaient tendu à leurs contradicteurs.
NOTES
1 - Décision n° 2007-560 DC du 20 décembre 2007 - Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne
2 - Décision n° 2004-505 DC du 19/12/2004 - Traité établissant une Constitution pour l’Europe
3 - En fait, le traité de Lisbonne comporte cinq autres articles, qui ont trait respectivement à la durée du traité (illimitée), aux protocoles annexés, à la nouvelle numérotation des traités dans la version consolidée, à l'entrée en vigueur, et aux langues faisant foi.
4 - Anne-Marie Le Pourhiet : Haute trahison, Marianne, 09 Octobre 2007
5 - Jean-Pierre Gaillet, Robert Joumard, Rémi Thouly : "Dix mensonges et cinq boniments "
6 - Bernard Cassen : "il faut un referendum", contreinfo.info, 25/10/2007