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Accord sur les investissements entre l'Union européenne et la Chine: contenu et critiques (2)

 


C'est une question habituelle lorsqu'un accord est conclu : qu'y gagne chaque partie ? S'agissant de l'AGI, il est difficile de se prononcer : le texte n'est pas encore connu car pas encore finalisé. Seuls ses « éléments clés » ont été présentés publiquement. Pourtant, « l'accord » est déjà commenté et soit, loué (par ses promoteurs essentiellement, de façon prévisible!) soit décrié.

 

Sur le plan économique

L'Union européenne y gagne, du moins sur le papier. Car la Chine accepte de remettre en cause un certain nombre de pratiques quverrouillent son marché face aux investisseurs étrangers : engagements pour une concurrence plus équitable, fin de l'obligation pour les investisseurs européens d'accepter des transferts de technologie, fin de l'obligation de participer à des joint-ventures (associations d'entreprises) dont le capital est détenu majoritairement par un partenaire chinois. Par pays, il est certain que l’accord est très favorable aux industries allemandes : automobiles, de machines-outils, chimique. A titre d'exemple, les français espèrent, eux, investir le marché de la santé (hôpitaux privés, maisons de retraite), ce qui reflète les différences dans la structure économique des deux pays. Mais des secteurs d'avenir comme le stockage des données ou encore les services financiers s'ouvrent et il y a des places à prendre.
 

La question est : à quel point l'UE y gagne-t-elle ? Car son marché est déjà largement ouvert aux investisseurs chinois et va l'être d'avantage, et l'économie européenne ne se résume pas à l’économie allemande. Or, il est impossible de répondre à cette question du moment que l'accord n'est pas encore connu dans les détails.  
 

Mais on peut cependant souligner des points très négatifs. Prenons deux exemples :

  • L'accès aux marchés publics chinois n'est pas garanti par l'accord. Alors que l’UE ouvre depuis longtemps ses marchés publics aux soumissionnaires des pays tiers (la manne représente 2400 milliards d’euros annuels selon les chiffres de la Commission européenne en 2017), la Chine, elle, réserve toujours jalousement sa commande publique (1400 milliards en 2013, chiffres estimés) à ses entreprises. Or la Chine n’a pas cédé sur cette question, en dépit des initiatives internationales (dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce - OMC) prises pour ouvrir les marchés publics des différents pays ou des projets de l’UE pour avoir des règles de réciprocité.
  • Une autre source de questionnement est l’existence des subventions indirectes. Par définition plus opaques que les aides directes, ces mesures qui, en favorisant les entreprises nationales, faussent la concurrence avec les entreprises étrangères sont largement pratiquées par la Chine (conditions d’exécution locale, quotas, droits antidumping et compensateurs, restrictions réglementaires et/ou par les normes, etc…).

 

Sur le plan des relations internationales

Pour l’UE, l’accord n'a pas seulement pour finalité de rééquilibrer les relations d’affaires avec les Chinois. Il lui permettrait de développer ses partenariats multiples et de gagner en indépendance par rapport aux Etats-Unis.
 

Mais pour la Chine, l'enjeu est certainement plus important, comme le soulignent de nombreux commentateurs. Pour la Chine, il s’agirait de « démontrer aux USA qu'elle a des alliés dans le monde occidental et qu’elle est devenue incontournable. Et ce, en dépit des critiques faites au sujet de la politique chinoise d'internement des Ouighours au Xinjiang, de ses attitudes belliqueuses en mer de Chine, ou de la répression à Hong Kong (ce 6 janvier, cinquante-trois figures de l'opposition à Hong Kong ont été arrêtées, lors d'un vaste coup de filet mené en vertu de la loi de sécurité nationale N.D.L.R.)... L'objectif est donc de faire pression et de forcer les USA à reprendre une politique d’engagement avec Pékin. Dans le même temps, ce genre d'accord avec l'UE montre au peuple chinois combien le régime est aujourd'hui parfaitement légitime et incontestable. Ce qui renforce en interne le pouvoir de XI Jinping » (voir l’entretien du journal Marianne avec Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) et auteure de « La puissance chinoise en 100 Questions », Accord entre la Chine et l'UE : « Les entreprises chinoises continueront à recevoir des aides opaques », article publié par Marianne le 06 janvier 2021). Par cet accord, la Chine signifie donc au monde, et aux Etats-Unis en particulier, qu’elle a des alliés en dépit des critiques et de l’hostilité dont elle fait l’objet du fait de ses pratiques commerciales prédatrices et de son mépris des droits des individus.
 

On peut se poser légitimement la question de savoir s’il est « convenable » que l’Union Européenne l’aide dans cette entreprise. Plus cyniquement on peut aussi observer que la Chine redore son blason à bon compte. On l’a vu, il n’est pas démontré que l’UE y gagne beaucoup sur le plan économique. En revanche elle risque d’y perdre sur le plan de la défense de ses valeurs.
 

Sur le plan des valeurs et des droits fondamentaux

L’UE se targue de ne conclure de traités commerciaux que dans la mesure où le partenaire s’engage à respecter les valeurs de démocratie et de respect des droits de l’homme. Mais les premiers éléments connus de l’accord avec la Chine sont plutôt généraux et vagues.
 

La plupart des critiques formulées contre l’accord mettent l’accent sur une question : comment faire confiance à un Etat qui a peu de respect pour les traités internationaux et qui n’a jamais nié son rejet des valeurs occidentales en matière de droits fondamentaux? Et, question qui complète la première, comment faire appliquer les engagements pris dans un pays qui pratique un contrôle étroit de l’information et l’absence de transparence ?
 

Pour ce qui est de la première question, le passé montre que la Chine applique le principe selon lequel les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Déjà en 2001, elle a obtenu son ticket d’entrée à l’OMC en s’engageant à ouvrir complètement son marché. On a vu et on voit ce qu’il en est.
 

Quant au respect des droits, il suffit, pour démontrer la valeur que revêt ce principe aux yeux des autorités chinoises, de rappeler que le 6 janvier dernier, donc peu de jours après l’annonce de l’accord intervenu avec l’UE, a eu lieu à Hongkong une vaste offensive contre les pro-démocratie qui s’est soldée par des dizaines d’arrestations d’opposants, journalistes, avocats, étudiants, parlementaires…A cette nouvelle, on a du mal à partager l’enthousiasme de Mesdames Merkel et Von der Leyen lors de la présentation de l’accord avec la Chine.  
 

Dans l’accord, la Chine s’engage à signer les conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui interdisent notamment le travail forcé. La Chine est accusée de pratiquer ce travail forcé (ce qu’elle nie) et de l’utiliser comme élément de la répression (« rééducation » dans la novlangue chinoise) qu’elle mène contre la minorité turcophone et de religion musulmane des Ouïghours (voir par exemple : Maxime Tellier, « Comprendre la répression des Ouïghours par la Chine en quatre points clés », France culture, 26 juillet 2020). Mais les engagements pris par la Chine sont très formels : elle « s’engage à oeuvrer en faveur de la ratification des conventions fondamentales de l’OIT) » nous apprend la présentation des éléments clés de l’accord. Cette formule alambiquée n’a pas de portée pratique. Elle prend aussi des engagements « spécifiques » en ce qui concerne les deux conventions de l’OIT sur le travail forcé qu’elle n’a pas ratifiées. Quels engagements ? Avec quelles garanties ? Pour le moment la question est sans réponse. La conclusion qui s’impose est que l’accord, dans sa forme actuelle, n’impose rien à la Chine et ne garantit rien.

Dès lors, on peut comprendre l’opposition qu’il suscite et notamment parmi ceux qui vont devoir en débattre et voter. Rien d’étonnant à ce que des députés européens aient été les premiers à donner l’alarme, comme par exemple, l’eurodéputé Bernard Guetta qui dans une Tribune dénonce avec virulence « L’accord qu’il ne faut pas accepter entre la Chine et l’Union européenne » (Bernard Guetta, L’accord qu’il ne faut pas accepter entre la Chine et l’Union européenne , Libération, 13 janvier 2021).
Le 17 décembre 2020, le Parlement européen a voté une Résolution dans laquelle il condamne la répression contre les Ouighours et exhorte l’UE à la fermeté dans la défense de ses valeurs face à la Chine. 604 eurodéputés ont voté la Résolution (20 ont voté contre, et 57 se sont abstenus).

Cela permet d’augurer que l’accord est loin d’être adopté. Après sa mise au point, il va être étudié en détail par le Conseil et le Parlement européen. La signature et la ratification ne sont pas acquises. Et il n’est pas souhaitable qu’elles le soient.

 

 

 

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