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Le régime disciplinaire des juges polonais menace leur indépendance



cour de jusitce de l'union européenne

Une audience de la Cour de justice chambre à cinq juges
Source : Cour de Justice de l’Union Européenne

 


"L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. " C’est ainsi que l’article 2 du Traité sur l’Union Européenne (TUE) rappelle que l’UE n’est pas seulement un grand marché ou une instance de coopération entre les pays membres, mais aussi un état de droit fondé sur les valeurs et principes communs.  Les candidats à l’adhésion doivent faire la preuve que leur système et leurs institutions répondent à ces exigences. Une fois membres, les pays ne peuvent s’en écarter sous peine de sanctions prévues à l’article 7 du TUE. Encore récemment l’adoption du Plan de relance de l’Union européenne a été l’occasion de rappeler ces règles puisque l'accès aux financements européens est conditionné au respect de l’État de droit et des valeurs fondamentales de l’UE.

La Pologne vient de faire l’expérience d’un rappel à l’ordre qui l’a obligée à faire marche arrière sur une réforme controversée du statut des juges.

 

Le 25 octobre 2019, la Commission européenne a saisi la Cour de justice de l’UE d’un recours en manquement pour faire constater que, en adoptant le nouveau régime disciplinaire applicable aux juges de la Cour suprême et aux juges des juridictions de droit commun, la Pologne a violé les obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union. La Commission estime que la loi polonaise sur le pouvoir judiciaire porte atteinte à l'indépendance des juges. Par ses procédures disciplinaires, elle empêche les juridictions polonaises d'appliquer directement certaines dispositions du droit de l'Union protégeant l'indépendance de la justice et d'adresser à la Cour de justice de l’UE des demandes de décision préjudicielle concernant ces dispositions. Cette loi autorise une instance dont l’indépendance n’est pas garantie (la chambre disciplinaire de la Cour suprême) à prendre des décisions qui ont une incidence directe sur les juges et la manière dont ils exercent leur fonction (levée de l'immunité avec les conséquences qui en découlent sur le plan pénal et sur le salaire). Pour les juges, comme le remarque justement la Commission : « la simple perspective de devoir se soumettre à une procédure devant une instance dont l'indépendance n'est pas garantie peut avoir un effet dissuasif et affecter leur propre indépendance ».
 

Dans sa décision du 15 juillet 2021, la CJUE constate le manquement (CJUE, 15 juillet 2021, aff.C-791/19, Commission européenne contre République de Pologne).
 

Elle rappelle tout d’abord qu’en adhérant à l’Union européenne, la Pologne a « librement et volontairement adhéré aux valeurs communes visées à l’article 2 TUE ». Le respect de ces valeurs suppose notamment qu’État membre ne peut modifier sa législation pour réduire la protection de l’État de droit qui repose sur l’indépendance des juges et l’existence d’un système de voies de recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union (considérants 50 à 52). Et la Cour poursuit : « S’agissant plus particulièrement des règles gouvernant le régime disciplinaire applicable aux juges, l’exigence d’indépendance découlant du droit de l’Union …impose, conformément à une jurisprudence constante, que ce régime présente les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque d’utilisation d’un tel régime en tant que système de contrôle politique du contenu des décisions judiciaires. À cet égard, l’édiction de règles qui définissent, notamment, tant les comportements constitutifs d’infractions disciplinaires que les sanctions concrètement applicables, qui prévoient l’intervention d’une instance indépendante conformément à une procédure garantissant pleinement les droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte, notamment les droits de la défense, et qui consacrent la possibilité de contester en justice les décisions des organes disciplinaires, constitue un ensemble de garanties essentielles aux fins de la préservation de l’indépendance du pouvoir judiciaire » (61). C’est pourquoi, la Cour se reconnaît compétente pour contrôler les griefs exposés par la Commission européenne dans son recours.
 

Sur le fond, la CJUE décide :
 

La chambre disciplinaire qui est appelée à juger, en première instance et en degré d’appel, les affaires disciplinaires concernant les juges de la Cour suprême polonaise et les juges des juridictions de droit commun, ne satisfait pas aux garanties d’indépendance et d’impartialité requises. La CJUE relève tout d’abord que la mise en place de la chambre disciplinaire s’inscrit dans un contexte global de réformes du pouvoir judiciaire polonais qui « a engendré une rupture structurelle ne permettant plus de préserver l’apparence d’indépendance et d’impartialité de la justice et la confiance que les juridictions se doivent d’inspirer dans une société démocratique ni d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de la chambre disciplinaire à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent » (64, et voir aussi 112). Puis elle passe à l’examen des caractéristiques de la chambre disciplinaire. Elle insiste, par exemple, sur le fait que le processus de nomination des juges à la Cour suprême, dont ceux des membres de la chambre disciplinaire, est essentiellement déterminé par un organe qui a été fortement remanié par les pouvoirs exécutif et législatif polonais et dont l’indépendance peut engendrer « des doutes légitimes » (108). Selon une jurisprudence bien établie, le seul fait que les juges concernés soient nommés par le président de la République d’un État n’est pas de nature à créer une dépendance de ces derniers à son égard ni à engendrer des doutes quant à leur impartialité, si les conditions de fond et les procédures relatives aux  décisions de nomination « permettent d’exclure non seulement toute influence directe, sous forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus indirecte susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés » (98).

La CJUE remarque ensuite que le régime disciplinaire prévu par la loi polonaise permet de qualifier d’infraction disciplinaire le contenu des décisions judiciaires adoptées par les juges des juridictions de droit commun. La protection de l’indépendance des juges ne signifie pas l’irresponsabilité disciplinaire d’un juge car dans certains cas, sa responsabilité doit pouvoir être engagée à la suite de ses décisions judiciaires adoptées par celui-ci et ne sert pas à « cautionner d’éventuelles conduites graves et totalement inexcusables » (137). Mais, ajoute la Cour, « il apparaît essentiel, aux fins de préserver cette même indépendance et d’éviter de la sorte que le régime disciplinaire puisse être détourné de ses finalités légitimes et utilisé à des fins de contrôle politique des décisions judiciaires ou de pression sur les juges, que le fait qu’une décision judiciaire comporte une éventuelle erreur dans l’interprétation et l’application des règles de droit national et de l’Union, ou dans l’appréciation des faits et l’évaluation des preuves, ne puisse, à lui seul, conduire à engager la responsabilité disciplinaire du juge concerné » (138). Par conséquent il doit être prévu par la loi des règles « qui définissent, de manière suffisamment claire et précise, les comportements susceptibles d’engager la responsabilité disciplinaire des juges, afin de garantir l’indépendance inhérente à leur mission et d’éviter qu’ils ne soient exposés au risque que leur responsabilité disciplinaire soit engagée du seul fait de leur décision ». Ce qui n’est pas le cas de la loi polonaise.

Autre grief fait à la Pologne : celle-ci n’a pas garanti que les poursuites disciplinaires dirigées contre les juges des juridictions de droit commun soient examinées dans un délai raisonnable et n’a pas assuré le respect des droits de la défense des juges mis en cause, portant ainsi atteinte à leur indépendance (194,197,213).

Enfin, « last but not least », les juges polonais peuvent fait l’objet de procédures disciplinaires du simple fait qu’ils ont décidé de saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne d’un renvoi préjudiciel, ce qui porte atteinte à leur droit et/ou à leur obligation, d’interroger la Cour ainsi qu’au système de coopération entre les juridictions nationales et la Cour institué par les traités afin d’assurer l’unité d’interprétation et l’application du droit de l’UE (225,226,229,230).


C'est pourquoi la Cour juge justifié le recours en manquement d’Etat contre la Pologne.

 

 

 

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