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De nouvelles règles européennes pour lutter contre la fraude fiscale

 
 
A partir du 1er janvier 2013, la lutte contre la fraude fiscale devrait bénéficier de nouvelles armes grâce à l'entrée en vigueur de règles européennes plus sévères (1).
 

Contexte et motifs

 
Par définition, la fraude fiscale est difficile à estimer. En 2006, la Commission européenne rappelait que "la littérature économique retient en général que la fraude fiscale s'élève à plus ou moins 2 à 2,5% du PIB, soit entre € 200 et 250 milliards" (2).
 
Elle soulignait que la fraude carrousel TVA constituait "un des éléments les plus préoccupants" mais que la contrebande et la contrefaçon d'alcools et de tabac au niveau des accises tout comme la fraude en matière de fiscalité directe étaient également importantes.
 
De son côté, le député français Gilles Carrez s'appuyait sur le rapport d'activité de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, paru en février 2011 pour évaluer l'ampleur de la fraude en France: "l’ensemble de la fraude aux finances publiques représenterait chaque année en France entre 25 et 39 milliards d’euros pour les seuls prélèvements, sans compter les fraudes aux prestations...Dans la partie de son rapport public annuel 2010 consacrée aux « méthodes et les enjeux du contrôle fiscal », la Cour des comptes a chiffré les enjeux en cause : 52 000 contrôles fiscaux externes ont été réalisés en 2008, dont 47 800 vérifications d’entreprises (1,4 % des entreprises recensées) et 4 200 examens de situations fiscales personnelles (0,013 % des ménages)...Les droits rappelés et les pénalités appliquées se sont élevés en 2008 à 9,6 milliards d’euros pour le contrôle externe et 6,1 milliards pour le contrôle sur pièces, soit 15,7 milliards d’euros au total ou 4,1 % des impôts et taxes prélevés par l’État et les collectivités locales. Toutefois, une part très importante de ces montants n’est pas recouvrée.Le coût du contrôle fiscal est estimé à 1,3 milliard d’euros, soit 27 % du coût de gestion des impôts et 0,4 % des recettes fiscales. Les droits et pénalités se montent à 15,6 milliards d’euros, et même en tenant compte d’un taux de recouvrement de l’ordre de seulement 40 %, le contrôle fiscal est financièrement très rentable pour l’État" (3). En observant qu' "une part très importante de ces montants n’est pas recouvrée", Gilles Carrez mettait en évidence l'incapacité de l'état français, qui n'est pas spécifique à ce pays, à lutter contre la fraude fiscale de façon isolée dans le contexte de la mondialisation et de la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux dans l'Union européenne. Or, les règles fiscales n'étant pas harmonisées dans l'UE et les états ne voulant pas renoncer à leur compétence pour déterminer le niveau des taxes et des impôts, "la seule façon de garantir que les impôts sont correctement prélevés dans les États membres et de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale est de renforcer la coopération administrative", argumentait la Commission européenne dans l'exposé des motifs à sa proposition de directive qui allait donner naissance à la directive 2011/16. Les prises de position du sommet G20 sur la lutte contre les paradis fiscaux fournissaient un contexte favorable à la refonte de la directive existante sur l'assistance mutuelle adoptée en 1977 (77/799/CEE) qui était devenue inadaptée à l'évolution du marché intérieur européen vers une intégration croissante.
 
Le but est en fait double: il est de faciliter l’établissement correct des taxes et impôts pour éviter les double impositions et faire échec à la fraude et à l’évasion fiscales facilitées par le fait que les contrôles restent du ressort des autorités nationales. Pour gérer son régime fiscal et notamment celui de la fiscalité directe, pour calculer et récupérer les sommes qui sont dues par les contribuables et qui n'auraient pas été payées, un état a donc besoin d’informations provenant d’autres états membres.
 

Contenu de la directive 2011/16

 
La directive 2011/16 instaure la transparence fiscale en organisant et en intensifiant l’échange automatique d’informations fiscales au sein de l’Union européenne.
 
L'innovation majeure de la directive est qu'elle met fin au secret bancaire entre les pays de l'Union européenne : un État membre ne pourra plus refuser de communiquer des informations à un autre État pour la seule raison qu'elles sont détenues par une banque ou un autre établissement financier (article 18§2).
Une autre disposition également très remarquée, car elle renforce l'efficacité de la lutte contre la fraude, est l'obligation pour chaque état membre de faire bénéficier ses partenaires européens du même niveau de coopération qu'il a organisé avec un pays tiers si cette coopération est plus étendue que celle prévue par la directive (article 19), une disposition que l'on peut comparer à celle de la «nation la plus favorisée» dans les règles du commerce international.
 
La directive prévoit également:
  • les données concernées par l'échange d'informations doivent être «vraisemblablement pertinentes» pour les administrations qui en font la demande et pour l'application par les états membres de leur législation fiscale
  • tous les impôts et taxes entrent dans le champ d'application de la directive, sauf la TVA, les droits de douane, les droits d'accises et les cotisations sociales obligatoires pour lesquelles il existe une coopération administrative prévue par d'autres dispositions législatives de l'UE (4);
  • les échanges d'informations concernent aussi bien des personnes physiques que morales, des associations de personnes ou sur toute autre construction juridique;
  • l'obligation d'échange d'informations entrera progressivement en vigueur: le 1er janvier 2015 ( pour l'année fiscale 2014) elle concernera cinq catégories de revenu et de capital: revenus professionnels, jetons de présence, produits d’assurance-vie non couverts par d’autres directives, pensions, propriété et revenus de biens immobiliers. La liste des informations pourra être étendue ensuite aux dividendes, aux plus-values et aux redevances sur la base d'un rapport que la Commission européenne devra remettre avant le 1er juillet 2017. Le Conseil pourra également décider d'introduire l'échange automatique d'informations sans condition préalable pour au moins trois des cinq catégories prévues;
  • la directive rend les procédures d'échanges d'informations plus efficaces: elle prévoit un délai maximum de façon à accélérer les procédures, applicable tant à l'échange d'informations sur demande (réponse dans les six mois suivant réception de la demande) qu'à l'échange spontané d'informations (transmission des informations au plus tard un mois après que celles-ci sont disponibles);
  • une disposition du texte permet aux états qui ont reçu les informations de donner leur avis sur celles-ci dans un délai de trois mois maximum après l’exploitation des informations;
  • la coopération administrative entre les états est assurée par différents autres moyens: par exemple, les fonctionnaires habilités par l'autorité requérante peuvent être présents dans les bureaux des autorités administratives de l’état membre auquel les informations sont demandées et/ou participer aux enquêtes administratives réalisées sur le territoire de l’état membre à qui les informations sont demandées;
  • l'échange d'informations sur demande se fait par l'intermédiaire de formulaires types, et l'échange automatique grâce à des formats informatisés (5).
 
Mais l'avancée réalisée par la directive 2011/16 est jugée insuffisante.
 
Ainsi le député Gilles Carrez rappelait-il en 2011 que pour combattre la fraude fiscale sur "l’ensemble des revenus de l’épargne perçus directement ou indirectement par les particuliers", d'autres textes, qui complètent la directive 2011/16 doivent être adoptés (6). C'est le cas, en particulier, de la révision de la directive 2003/48 du Conseil du 3 juin 2003 en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts (« Directive épargne »). Celle-ci dispose que les revenus de l'épargne perçus sous forme de paiement d'intérêts dans un état membre par un contribuable résidant dans un autre état membre sont imposés conformément à la loi fiscale de l’État de résidence. A cette fin, la directive prévoit deux moyens: l'échange automatique d'informations entre les états concernant les paiements et, pendant une période transitoire, l’application, par l’état d’où proviennent les intérêts payés, d’une retenue à la source sur les paiements d’intérêts avec versement de la quasi totalité de cette retenue à l’état de résidence du contribuable.
 
Mais les états restent divisés sur la fin de la période transitoire. Certains, à l'instar de l’Autriche et du Luxembourg, demandent sa prolongation, d'autres contestent le maintien du système de la retenue à la source et demandant la généralisation de l’échange automatique d’informations pour l’ensemble des revenus de l’épargne, et non pas les seuls paiements d'intérêts. Par ailleurs, certains accords bilatéraux mettent en place une solution totalement différente de celle des textes européens qui privilégient l'échange automatique d'informations. C'est le cas des accords négociés par l’Allemagne et le Royaume-Uni et la Suisse. Appelés accords « Rubik » ils ont pour but de régulariser les avoirs non fiscalisés des résidents allemands et britanniques dans des banques suisses et, d'appliquer des retenues à la source libératoires sur les revenus de la fortune et du capital au lieu de l’échange automatique de renseignements (7).
 
La transparence fiscale est donc encore loin d'être réalisée.
 
02/01/2013
 

 
3 - Gilles Carrez, Rapport d'information enregistré le 6 juillet 2011 : "l’application des mesures fiscales contenues dans les lois de finances"
4 - Pour la TVA par exemple, il existe le règlement concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la TVA : règlement n° 904/2010 du Conseil du 7 octobre 2010 qui instaure notamment le réseau Eurofisc pour lutter contre la fraude à la TVA
6 - Gilles Carrez, rapport d'information op.cité
7 - Le projet d'accord fiscal entre l'Allemagne et la Suisse a échoué en raison de l'opposition de gauche majoritaire au Bundesrat.  Lena Langbein, "L’accord avec Berlin tombe, le différend fiscal demeure", swissinfo.ch, 13/12/2012

 

 

Les PLus

 

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Jurisprudence

 

  • Commentaires de décisions de la Cour de Justice de l'Union Européenne et d'arrêts du Tribunal,
  • Conclusions des avocats généraux

 

 

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