L’Union européenne veut muscler sa politique commerciale
Trop naïve, bisounours, trop attachée à des règles qu’elle est seule à respecter, tels sont les commentaires les plus indulgents sur la façon dont l’UE commerce avec les autres Etats. Certains, moins politiquement corrects, reprochent vertement à l’UE de se coucher devant ces géants que sont la Chine ou les Etats-Unis qui eux n’ont pas d’états d’âme pour faire prévaloir l’intérêt de leurs entreprises. Bref, l’UE n’est pas assez agressive dans un monde brutal, et pire, elle ne sait pas se protéger, donc, nous protéger. Deux propositions de règlement montrent une prise de conscience au sein de la Commission européenne qui est à la manœuvre en matière de politique commerciale commune.
Il faut espérer que les Etats les adopteront. Et, ce n’est pas gagné. L’un des textes, la proposition relative à l’accès aux marchés publics internationaux, a été présentée …en 2016 et encore s’agit-il d’une proposition révisée c’est-à-dire d’une nouvelle mouture d’un texte proposé des années auparavant. A ce train-là, l’Union européenne n’a pas fini de se faire abuser par ses « partenaires » commerciaux, pourrait-on se dire. Pourtant, deux éléments incitent à plus d’optimisme : l’inquiétude face aux visées expansionnistes de la Chine (emblème désigné de la mondialisation sauvage), ce qui explique notamment que l’accord sur les investissements est englué, et la volonté de la France, qui assure la Présidence de l’Union européenne depuis le 1er janvier 2022, de soutenir ces réglementations au nom de la défense de la souveraineté de l’UE.
Ouvrir les marchés internationaux aux entreprises de l’Union Européenne
La proposition de règlement modifié présentée par la Commission le 29 janvier 2016 a pour objectif de faciliter l’accès des entreprises de l’Union européenne aux marchés publics des pays tiers. En théorie, cela devrait être fait depuis longtemps, dans le cadre des accords conclus au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (organisation qui, il est vrai, se porte plutôt mal depuis quelques années).
Mais il n’en est rien. Dans l’exposé des motifs de sa proposition la Commission européenne rappelle que les marchés publics de l’Union sont ouverts, pour un montant d’environ 352 milliards d’euros, aux soumissionnaires originaires de pays tiers. Alors que les Etats-Unis n’ouvrent leurs marchés publics aux entreprises étrangères que pour un montant de 178 milliards d’euros. Au Japon, le chiffre est encore plus bas (27 milliards). Quant à la Chine, elle réserve à ses entreprises la quasi-totalité de ses marchés publics. On peut donc légitimement conclure que les conditions en matière de passation de marchés au niveau mondial ne sont pas équitables, et que les entreprises européennes sont très largement victimes de discrimination.
Si les Etats de l’UE sont majoritaires à reconnaître cet état de fait, ils n’ont pas pu se mettre d’accord pour voter une première proposition que la Commission avait présentée en 2012. Celle-ci prévoyait notamment la possibilité de fermer de manière temporaire et ciblée le marché de l’Union aux produits et services originaires de certains pays tiers. Elle permettait aussi aux entités adjudicatrices nationales de décider de manière d’interdire la participation de soumissionnaires étrangers à leurs appels d’offres. Ces dispositions ont été refusées par certains Etats membres.
D’où le nouveau texte présenté en 2016 qui tient compte de ces oppositions tout en donnant à l’UE de nouveaux moyens de pression (moins radicaux) dans ses négociations pour ouvrir les marchés publics étrangers. Il prévoit que la Commission ouvre des enquêtes publiques en cas d’allégation de discrimination à l’égard des entreprises de l’Union dans les marchés publics. Si l’enquête conclue à l’existence de restrictions discriminatoires, la Commission engage des discussions sur l’ouverture de son marché public avec le pays concerné. Si elles ne suffisant pas à régler le problème, la Commission peut imposer un ajustement des prix : au moment de la comparaison des offres des soumissionnaires de pays tiers participant à des marchés publics européens, le prix des offres de produits et services provenant de pays en litige avec l’UE sera majoré, ce qui donnera un avantage concurrentiel aux produits et services des pays européens et des autres pays non ciblés. Ce mécanisme ne s’appliquera pas aux entreprises des pays les moins avancés ou des pays en développement plus vulnérables, pour ne pas les pénaliser davantage et compromettre leur développement.
Se défendre contre les pressions économiques des concurrents
Dans le monde impitoyable des relations internationales, « le commerce est de plus en plus utilisé comme une arme, et l'UE et ses États membres sont la cible d'intimidations économiques ». Tel était le constat du vice-président et commissaire au commerce, M. Valdis Dombrovskis en présentant le 8 décembre 2021 une nouvelle proposition de règlement. « Nous avons besoin d'outils appropriés pour réagir » ajoutait-il. Un de ces outils est le règlement visant à protéger l’Union et ses Etats membres contre la coercition exercées par des pays tiers.
Le constat à l’origine de la proposition est que des pays tiers restreignent le commerce ou les investissements (droits de douane, restrictions d’importations, d'exclusion des appels d'offres publics, limitation des investissements étrangers, annulation des contrats européens…) ou menacent de le faire pour pousser l'UE à modifier ses règles dans des domaines comme le changement climatique, la fiscalité ou la sécurité des aliments.
A ces pays, l’UE veut envoyer un « message clair » de fermeté. Selon le règlement en projet, en cas d’intimidation économique ou de tentative d’intimidation par un pays tiers, l’UE ouvre un dialogue avec lui pour la faire cesser. Si elle n’obtient pas gain de cause, l'UE peut prendre différentes mesures selon les situations : institution de droits de douane, limitation des importations en provenance du pays en question, restrictions applicables aux services ou aux investissements, restriction d’accès au marché intérieur de l'UE. Début décembre, la Chine a bloqué l'entrée de certaines marchandises lituaniennes dans ses ports. Selon les autorités chinoises, la Lituanie avait été supprimée du système de déclaration de douane. Mais selon la Lituanie, l’interdiction d’entrée est en réalité une mesure de rétorsion après qu’elle ait autorisé Taïwan à ouvrir un bureau de représentation à Vilnius. Avec le règlement proposé, l’UE aura de nouveaux moyens pour empêcher ce genre de représailles ou de chantage qui ne sont pas, d’ailleurs, seulement le fait de la Chine. D’autres grandes puissances, comme les Etats-Unis, ou la Russie, abusent de leur poids économique pour chercher à peser sur les décisions politiques de leurs partenaires par des mesures qui violent le droit international. On peut aussi penser que les mesures proposées dans le règlement soient mises en œuvre contre le Royaume-Uni dont les manœuvres pour forcer l’UE à de nouvelles négociations sur l’accord sur le Brexit ne sont pas vues d’un bon œil (refus de l’accord sur la frontière nord irlandaise, querelle avec la France sur les droits de pêche).
A supposer que les règlements sur les marchés publics internationaux et sur la coercition économique soient adoptés (ce qui est probable), il reste à savoir comment ces outils seront utilisés. L’Union européenne privilégie des réponses fondées sur la négociation et la proportionnalité. Ce n’est certainement pas une erreur que de privilégier la désescalade dans un conflit commercial. Pourquoi l’UE devrait-elle se renier et adopter les mêmes pratiques brutales que les autres puissances ? Et aurait-elle intérêt à entrer dans un cercle vicieux faisant du commerce un instrument de guerre ? Certainement pas. Mais dans un contexte géopolitique caractérisé par les confrontations, il faut également montrer que si conflit il doit y avoir, l’UE ne reculera pas et prendra les mesures qu’elle menace de prendre. Il lui faudra faire preuve de fermeté et de rapidité. Le pourra-t-elle?