La lavande bannie par l’Union européenne ?
Champ de lavande
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Retour sur un hoax apparu dans certains medias français, ces derniers mois : la lavande serait menacée d’interdiction par l’Union européenne. Il s’agit d’une présentation biaisée des conséquences possibles pour la filière de la révision de la réglementation européenne sur les produits chimiques. Mais si l’interdiction n’est pas envisagée, en revanche, les lavandiers ont des raisons d’être préoccupés par les projets de la Commission européenne.
Dans le cadre du Pacte vert, la Commission européenne a proposé la révision des règlements REACH et CLP. Adopté en 2006, REACH concerne l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances, le but étant de réduire l'exposition des personnes et de l'environnement à ces substances. Celles-ci font l'objet d'une classification selon leur utilisation. Toute substance produite ou importée à plus d’une tonne par an doit être enregistrée par les industriels. Des autorisations de mise sur le marché ou des restrictions de production ou d’utilisation en découlent. Deux ans après REACH, le règlement CLP a été adopté . Il régit la classification, l’étiquetage et l’emballage des produits dangereux.
Après une consultation publique, la Commission a publié une feuille de route sur la restriction des substances chimiques nocives le 25 avril 2022. L’objectif est l’interdiction de certaines familles de produits toxiques d’ici 2030 pour faire place à des substances chimiques durables, peu nocives pour la santé et l'environnement ce qui implique de stimuler l'innovation. Des milliers de substances sont visées, ce qui réjouit les associations de défense de l’environnement et des consommateurs mais inquiète beaucoup les industriels.
Mais pas seulement les industriels.
Une petite musique se fait entendre depuis des mois : le projet de révision du règlement REACH conduirait à interdire l'huile essentielle de lavande en la classant « substances dangereuses ». Une Tribune signée par plus de cent sénateurs publiée dans le JDD le 18 juin 2022 dénonce quant à elle : « La lavande provençale est en danger ». On y lit : "Sa culture, et plus généralement toute la filière des plantes à parfum, aromatiques et médicinales, est aujourd’hui menacée. Ce danger immédiat provient de la prochaine révision de la réglementation européenne relative aux produits chimiques, et plus précisément aux règlements REACH et CLP. En clair, pour l’Union européenne, la lavande n’est pas un produit agricole artisanal mais un produit chimique dont la toxicité doit être évaluée, notamment pour les effets perturbateurs endocriniens". Certes l'objectif est légitime (protéger la santé humaine et l'environnement), poursuit la Tribune mais les moyens sont disproportionnés et inapplicables puisqu'il faudrait " tester chacune des 600 molécules d’une huile essentielle", au moyen d'études coûteuses. Les sénateurs signataires de la Tribune et les producteurs redoutent l'obligation de signaler par de nouveaux pictogrammes les dangers du produit ce qui le rendrait moins attractif. Et reviendrait à fragiliser et peut-être même à signer l'arrêt de mort, en cas de classification en substance dangereuse, d'une filière et faire disparaitre un savoir faire ancestral.
L'heure est grave donc, nous dit-on, pour les lavandiers, et les amateurs d'huiles essentielles.
Que répond la Commission européenne ?
Aussitôt la Tribune publiée, celle-ci a démenti auprès de l'AFP vouloir interdire les huiles essentielles lors de la révision du règlement REACH (ce qui n’est pas ce que lui reprochent les sénateurs signataires de la Tribune et les producteurs, on l'a vu). La Commission européenne rappelle que les huiles essentielles sont déjà définies comme des substances chimiques et qu’elles sont sont réglementées comme telles. Les producteurs de lavande sont soumis aux obligations du règlement REACH et CPL. Et elle ajoute qu’elle ne veut pas modifier cette définition, ni exiger l'analyse de chaque molécule des huiles essentielles. La révision de REACH ne change donc rien de ce point de vue.
Alors, beaucoup de bruit pour rien, en somme ?
Sur l’interdiction des huiles essentielles et notamment de lavande, il s’agit effectivement d’une désinformation (qui en rappelle d’autres comme celle sur l’interdiction des plantes médicinales par l’UE). De même on a vu que la Commission réfute l’argument des producteurs et des sénateurs selon lequel toutes les molécules seraient obligatoirement analysées avant d'être mises sur le marché pour évaluer la toxicité. Si l’on croit sa réponse, une huile essentielle pourra donc être évaluée dans sa globalité lors des tests de toxicité. Et ce sera moins onéreux pour les producteurs.
Mais, en revanche, la révision du règlement CLP peut changer sensiblement la donne pour les huiles essentielles. Il est prévu que l’étiquetage des produits mentionne de nouveaux risques, notamment l’existence de perturbateurs endocriniens. Et si les producteurs identifient un agent cancérigène parmi les composants connus de leurs huiles essentielles, ils devront les classer comme cancérogènes. C’est là que réside le principal danger pour la production et la commercialisation des huiles essentielles. Et c’est pourquoi les sénateurs venus au secours des professionnels du secteur demandent « une clarification du terme "perturbateur endocrinien" afin d’éviter le risque que ne soient apposés des pictogrammes dissuasifs sur les produits mis en vente, un risque de réputation, voire judiciaire, conduisant les industriels à privilégier à l’avenir des substances de synthèse faisant intervenir du pétrole, au détriment des huiles essentielles à base de lavande » (proposition de résolution européenne enregistrée le 31 mai 2022 relative à la préservation de la filière des huiles essentielles à base de lavande, menacée par la révision des règlements européens dits « REACH » et « CLP »). Les sénateurs redoutent « un risque de confusion préjudiciable dans l’esprit des consommateurs entre la notion de substances entraînant une activité endocrinienne, laquelle obéit à des phénomènes physiologiques, et celle plus restreinte de perturbateur endocrinien, qui n’est pas toujours entendue par les juristes comme reposant obligatoirement sur un effet délétère pour la santé humaine ». Ils rappellent également que « les produits à base de lavande et de lavandin sont utilisés depuis plus de 2 000 ans et ne peuvent raisonnablement pas faire l’objet d’une application drastique du principe de précaution ». Effectivement.
Une fois connues, les propositions de révision présentées par la Commission devront être approuvées par le Parlement européen ainsi que par le Conseil de l’UE (les Etats). Rien n’est perdu pour les lavandiers. A condition que les représentants français à Bruxelles défendent ce savoir faire.