La pénurie d'énergie dans l'Union européenne était prévisible et prévue
Les choix énergétiques de certains Etats membres de l’UE nous font réaliser, effarés, à quel point l’UE est dépendante des importations. Ils nous impactent tous. Mais ce qui nous arrive n’était pas une fatalité. Il y longtemps que la Commission européenne plaidait pour une politique énergétique sinon commune du moins concertée et alertait sur les dangers à venir.
La puissance industrielle européenne, est menacée pour avoir trop misé sur le gaz russe dont elle était une consommatrice effrénée. Les premiers signaux d’un ralentissement de l’économie allemande sont là : croissance en berne, inflation et le chômage qui augmente. Et quand l’Allemagne tousse, c’est toute l’UE qui s’enrhume. Du coup, la popularité du pays auprès de ses partenaires est bien entamée. Pas très étonnant quand on se souvient de l’intransigeance du Gouvernement Merkel face aux « cigales » du sud. Devenue cigale à son tour, l’Allemagne doit appeler à la solidarité européenne. Celle-ci est au rendez-vous. Mais les choix énergétiques passés de l’Allemagne lui valent une volée de bois vert.
En France, des tribunes au vitriol dénoncent « l’Allemagne, ce traitre énergétique » ou une Allemagne qui « exporte l’échec de sa transition écologique ». Ecrites par des personnalités qui se revendiquent de droite (les Arvernes) et favorables au nucléaire ou par l’ancien PDG d’Elf Aquitaine (Loic le Floc Prigent) ces tribunes « tirent à vue » contre l’aveuglement allemand imposé, selon eux, à l’UE sur l’énergie, et que traduirait aujourd’hui le Pacte vert européen. Le tropisme est clair : contre l’abandon du nucléaire et l’illusion du tout renouvelable. Est-ce que cela discrédite la critique des choix qui ont conduit à la situation actuelle? Pas forcément.
En 2006, la Commission européenne avait tiré la sonnette d’alarme sur la situation de l’énergie dans l’Union européenne en appelant à la mise en place d’une réflexion et à terme, d’une politique commune (voir l’article sur ce site : L’énergie, talon d’Achille de l’Union européenne ). Dans son livre vert du 8 mars 2006, la Commission identifiait un certain nombre de fragilités mais aussi d’atouts de l’UE en matière énergétique. Quand on le relit aujourd’hui, il est difficile de ne pas se dire que le diagnostic était posé et de déplorer qu’il n’ait pas été suivi d’effet.
Morceaux choisis:
Dans le livre vert, la Commission européenne posait le constat de la dépendance énergétique de l’UE en des termes qui s’avèrent largement justifiés aujourd’hui : « Notre dépendance envers les importations augmente. À moins d’améliorer la compétitivité de l’énergie autochtone, les importations – dont certaines en provenance de régions menacées d’insécurité – couvriront d’ici 20 à 30 ans environ 70 % des besoins de l’Union en énergie, contre 50 % aujourd’hui…Les réserves sont concentrées dans quelques pays. Actuellement, la moitié environ du gaz
consommé dans l'UE provient de trois pays seulement (Russie, Norvège, Algérie). Si les tendances actuelles se maintenaient, la part du gaz importé passerait à 80 % du total au cours des 25 années à venir ».
Or, alors que la dépendance énergétique de l’UE s’accroit, la demande elle aussi explose, augmentant les émissions de CO2 et accélérant la concurrence entre pays les pays pour accéder à l’énergie : « La demande mondiale d’énergie augmente. On estime que la demande énergétique mondiale – et les émissions de CO 2 – augmenteront de quelque 60 % d’ici 2030. La consommation mondiale de pétrole a augmenté de 20 % depuis 1994, et la demande mondiale de pétrole devrait continuer à croître de 1,6 % par an ».
Pour les consommateurs cela se traduit par une hausse des prix de l’énergie : « Les prix du pétrole et du gaz sont en hausse. Ils ont presque doublé dans l’UE au cours des deux dernières années, entraînant avec eux les prix de l’électricité…Vu l’augmentation de la demande mondiale de combustibles fossiles, la longueur des chaînes d’approvisionnement et la dépendance croissante envers les importations, les prix du pétrole et du gaz vont probablement se maintenir à des niveaux élevés ».
Et le réchauffement climatique est inéluctable: « Notre climat se réchauffe. Selon le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, les émissions de gaz à effet de serre ont déjà conduit à une augmentation de 0,6 °C de la température mondiale moyenne. Si aucune mesure n’est prise, l’augmentation sera comprise entre 1,4 et 5,8 °C d’ici la fin du siècle. Toutes les régions du monde (y compris l'UE) devront faire face à de graves conséquences pour leurs économies et écosystèmes ».
Pourquoi rappeler ce constat dont la justesse est avérée? Parce que la Commission européenne proposait des solutions en insistant sur le gain qu’il y aurait à mettre en place une politique énergétique au niveau européen ou, à défaut, à mutualiser certains moyens pour, notamment, investir massivement dans l’innovation.
« L’UE dispose des moyens adéquats. Avec plus de 450 millions de consommateurs, elle représente le deuxième marché de l’énergie au monde. Son action collective lui confère le poids suffisant pour protéger et faire valoir ses intérêts. L’UE a non seulement la taille requise, mais aussi les moyens politiques de s’intégrer dans le nouveau paysage énergétique. L’UE occupe la première place au monde dans le domaine de la gestion de la demande, de la promotion des formes nouvelles et renouvelables d’énergie, et du développement de technologies à faible intensité en carbone. Si l’UE appuie une nouvelle politique commune en parlant d’une seule voix sur les questions énergétiques, l’Europe a alors les moyens de
conduire la recherche mondiale de solutions énergétiques ».
La Commission proposait une discussion en commun des choix énergétiques nationaux puisque les décisions d’un Etat « ont inévitablement une incidence sur la sécurité énergétique de ses voisins et de la Communauté dans son ensemble » (observation judicieuse qui se vérifie, o combien, aujourd’hui). Selon la Commission, « L’analyse stratégique de la politique énergétique de l’UE offrirait un cadre européen clair pour les décisions nationales en matière de bouquet énergétique. Elle devrait analyser tous les avantages et désavantages des différentes sources d’énergie, des sources d’énergie renouvelables indigènes, telles que l’énergie éolienne, la biomasse, les biocarburants, l’hydroélectricité à petite échelle et l’efficacité énergétique, jusqu’au charbon et au nucléaire, et les répercussions que les changements éventuels du bouquet énergétique pourraient avoir ». Il faut remarquer qu’à l’époque, le nucléaire n’était nullement diabolisé, au contraire. Le livre vert prônait un « débat transparent et objectif sur le rôle futur de l’énergie nucléaire dans l’UE » en rappelant que : « L’énergie nucléaire contribue actuellement pour environ un tiers à la production d’électricité dans l’UE et, bien qu’il faille accorder une grande attention aux questions que posent les déchets et la sécurité nucléaire, elle représente aujourd’hui la principale source d’énergie de l’UE largement exempte de carbone en Europe ».
Parmi les autres propositions notables de la Commission figurait le stockage du gaz (qui vient de faire l’objet d’un règlement récent) et un plan massif de financement des technologies énergétiques stratégiques grâce à l’intégration et à la coordination des programmes et budgets de recherche et d’innovation communautaires et nationaux.
Mais toutes ces propositions se sont ensablées à l'époque dans les lenteurs et les difficultés des procédures décisionnelles communautaires. Pas assez de volonté des Etats, des visions différentes de la transition énergétique, et des propositions de bon sens ont été oubliées. Sauf (et c’est peut-être bien dommage, si l’on en croit certains experts), celle qui avait trait au marché intérieur de l’électricité. En somme, bien du temps a été perdu par la faute des Etats. A ne pas oublier lorsque la tentation sera forte de rejeter la responsabilité de nos difficultés sur l’Union européenne.