Bras de fer entre la Commission européenne et la Cour constitutionnelle allemande sur la primauté du droit de l'Union européenne
Cour de Justice de l'Union Européenne
Auteur: Mauro Bottaro - Cpoyright European Union 2017
On l’avait, presque, oublié, mais pas la Commission européenne. La rebellion des juges constitutionnels allemands du printemps 2020 aura bien des suites. La Commission européenne a annoncé le 9 juin 2021 l’ouverture d’une procédure d’infraction contre l’Allemagne « pour violation des principes fondamentaux du droit de l'Union en particulier les principes d'autonomie, de primauté, d'effectivité et d'application uniforme du droit de l'Union, ainsi que le respect de la compétence de la Cour de justice de l'Union européenne en vertu de l'article 267 du TFUE » (communiqué du 9 juin 2021).
Le 5 mai 2020, la Cour constitutionnelle allemande avait exigé de la Banque centrale européenne (BCE) qu’elle justifie la conformité de ses rachats de dette publique à son mandat, alors que ces opérations de la BCE avaient été validées par la Cour de Justice de l’Union Européenne. En refusant d’appliquer la décision de la CJUE, les juges constitutionnels allemands ont ouvert un conflit potentiellement destructeur car il menace l'un des socles du droit communautaire : le principe de la primauté de celui-ci sur les droits nationaux. L’application de ce principe est assurée par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne dont les décisions s’imposent (en principe !) aux juridictions nationales. Il permet d’éviter des interprétations et des applications différentes du droit communautaire selon les pays. D’abord forgé par la CJUE elle-même (arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964), il fait aujourd’hui l’objet de la Déclaration 17 annexée aux traités européens qui rappelle qu’il s’agit d’un principe fondamental du droit de l’UE.
Parce qu’elle met en cause l’autorité de la CJUE qui est la gardienne de l’ordre juridique de l’UE et la garante de l’application uniforme du droit de l’Union européenne dans tous les États membres de l’UE, la fronde des juges allemands ne peut pas être laissée sans réponse. Car elle peut encourager d’autres juridictions à s’opposer à la CJUE. Le risque n’a rien d’hypothétique : aussitôt connue, la décision de la Cour constitutionnelle allemande avait été saluée par les gouvernements hongrois et polonais qui ont souvent eu maille à partir avec la CJUE en raison de violations des droits fondamentaux et d’autres règles du droit communautaire.
C’est ce qui a poussé la Commission européenne à lancer la première étape de la procédure d’infraction en envoyant une lettre de mise en demeure à l’Allemagne (les Etats membres peuvent être en effet mis en cause pour avoir manqué à leurs obligations de reconnaître l’autorité des décisions de la CJUE, si une de leurs juridictions passe outre un arrêt de celle-ci, bien que ces juridictions soient indépendantes). Dans son communiqué, la Commission explique que la Cour constitutionnelle fédérale allemande « a privé un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne de ses effets juridiques en Allemagne, violant ainsi le principe de primauté du droit de l'Union. C'est la raison pour laquelle cette procédure d'infraction est engagée ». Elle considère que, même si la Cour constitutionnelle a récemment rejeté deux recours contre les achats de la BCE (les eurosceptiques allemands sont tenaces), cela « n'annule pas les violations du principe de primauté du droit de l'Union ». Et pour encore mieux se faire comprendre, s’il en était besoin, la Commission ajoute « l'arrêt de la Cour constitutionnelle allemande constitue un grave précédent, tant pour la pratique future de la Cour constitutionnelle allemande elle-même que pour les tribunaux et les cours suprêmes et constitutionnelles d'autres États membres ».
Cette fermeté risque évidemment de provoquer un conflit politico - juridique (entre les Etats, entre les Etats et l’UE, entre les ordres juridiques nationaux et communautaire) dont il sera difficile de sortir sans dommages pour l'intégration européenne. Mais la Commission européenne pouvait-elle agir autrement ? Poser la question, c’est y répondre.