Accord commercial in extremis entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni (III) : ce qui n’est pas couvert et ce qui disparait
William Shakespeare - Street art - Londres
" Qui veut avoir un gâteau avec du froment doit attendre la mouture. "
William Shakespeare ; Troïlus et Cressida (1602)
Participation du Royaume-Uni à des programmes de l’Union européenne
La cinquième partie de l’accord prévoit que le Royaume-Uni pourra participer en tant que pays tiers à des programmes de l’Union et participera à leur financement. Mais c’est tout ce que contient l’accord qui renvoie à des discussions ultérieures pour adopter la liste précise des programmes et celle de services fournis dans le cadre de la mise en oeuvre des programmes de l’Union auxquels le Royaume-Uni peut avoir accès.
Une Déclaration jointe à l’accord commercial (Déclaration politique fixant le cadre des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni) donne quelques indications sur ce que pourrait être cette participation. Les domaines concernés sont la science et l’innovation, la jeunesse, la culture et l’éducation, le développement à l’étranger et l’action extérieure, les capacités de défense, la protection civile et l’espace ainsi que l’avenir de l’Irlande du Nord qui devrait faire l’objet d’un futur programme PEACE PLUS afin de soutenir les travaux en faveur de la réconciliation et d’un avenir commun en Irlande du Nord. La participation du Royaume-Uni aux consortiums pour une infrastructure européenne de recherche (ERIC) sera « étudiée ».
Dans ce domaine également, l’accord ne règle donc pratiquement rien. Pour les britanniques, cela signifie l’exclusion possible de programmes phares de l’UE, comme cela a été le cas de Galileo dont ils ont quitté le programme militaire le 30 novembre 2018, faute d’avoir pu obtenir de l’Union la certitude de pouvoir continuer d’y participer (voir le guide sur le brexit : Pourquoi les britanniques sont-ils écartés de Galileo alors qu’ils ont largement contribué à son développement? Page 63). A la suite de quoi, le Gouvernement britannique a voulu lancer son propre projet de système de géolocalisation, avec la perspective d’une explosion des coûts (difficile pour un seul pays de supporter de tels programmes) et la réalité de retards importants (l'étude de faisabilité lancée en 2018, et qui devait être publiée en mars 2020 ne l’a pas été).
Concurrence dans l’espace: Evincé de Galileo le Royaume-Uni a acheté à l’été 2020 une participation majoritaire dans la société américaine OneWeb qui développe un réseau de satellites en orbite basse pour fournir de l'internet à haut débit partout dans le monde. La société, qui a échappé à la faillite qui la guettait il y a un an, reprend la construction de son réseau satellitaire et fera des lancements en coopération avec Arianespace avec qui elle a signé un contrat avant ses problèmes financiers. La mise en service opérationnelle est prévue mi-2022. Le réseau de Oneweb n'est pas fait pour le GPS mais devrait permettre au Royaume-Uni de se positionner au premier rang des nations spatiales et faire de lui un pionnier dans la recherche, le développement, la fabrication et l'exploitation de nouvelles technologies pour les satellites, selon les termes du Porte parole du Gouvernement britannique.
De fait, le marché des constellations de satellites est convoité par de nombreux opérateurs et pays. Le Commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton a expliqué que l'Union européenne devrait disposer de sa propre constellation dédiée à la fourniture d’accès à l'internet à haut débit qui assurera sa souveraineté digitale et garantira une connectivité sécurisée à ses utilisateurs. Pour l’étude de faisabilité, la Commission européenne a sélectionné un consortium composé d’Airbus, Arianespace, Eutelsat, Hispasat, OHB, Orange, SES, Telespazio et Thales Alenia Space.
Pour le moment, le marché de l’internet spatial reste dominé par l’américain Starlink d’Elon Musk. Une offre est déjà commercialisée dans le Nord des États-Unis et du Canada. Jeff Bezos, le PDG d’Amazon est également sur les rangs. Il a obtenu l'approbation des autorités américaines pour déployer une constellation de 3 236 satellites en orbite basse, qui permettra de fournir de l'internet à haut débit partout dans le monde (Project Kuiper).
La fin d’Erasmus au Royaume-Uni : le Royaume-Uni se retire du programme communautaire Erasmus. Ce programme permet à des millions d’étudiants et d’enseignants de différents pays européens d’étudier ou d’enseigner dans les mêmes conditions que les nationaux lors d’un échange universitaire, en facilitant les démarches administratives et en offrant des aides financières. Cependant, les étudiants et les universités d’Irlande du Nord continueront à prendre part au programme, en vertu d’un accord avec le gouvernement irlandais qui va continuer de financer des bourses pour les étudiants scolarisés en Irlande du Nord. Le Gouvernement britannique a annoncé qu’il veut mettre en place dès l’automne 2021 un programme similaire à Erasmus pour favoriser la mobilité des étudiants dans le monde.
Des incertitudes sur les règles du jeu équitables (level playing field)
La Déclaration commune jointe à l’accord, insiste sur l’obligation pour les parties de maintenir les normes élevées communes existantes dans les domaines des aides d’État, de la concurrence, des normes sociales et en matière d’emploi, de l’environnement et du changement climatique, ainsi qu’en ce qui concerne les questions fiscales pertinentes. Autrement dit, le Royaume-Uni va devoir respecter les normes qui ont été adoptées dans le cadre de l’Union européenne et des conventions internationales conclues par celle-ci (par exemple, l’accord de Paris) et ne pas les revoir à la baisse s’il ne veut pas être accusé de faire de la concurrence déloyale. Il s‘agit d’une question qui a été âprement discutée. Le résultat est un compromis assez complexe. Dans les domaines des normes sociales et de travail et des normes environnementales, le Royaume-Uni et l’UE se sont mis d’accord sur une clause de non-régression qui dispose qu’ils s’abstiennent d’adopter des normes moins protectrices « d’une manière qui affecte les échanges commerciaux ou les investissements entre les Parties ». Pour prouver une violation de cette clause, la partie plaignante devra donc démontrer qu’une remise en cause des normes affecte les échanges commerciaux ou les investissements. Cette disposition semble d’application difficile. Seul l’avenir dira si elle est assez efficace pour dissuader une Partie d’abaisser ses normes de protection ou s’il s’agit d’une barrière de papier. Mais une étude récente de l'Institut de recherche sur les politiques publiques, un think tank londonien, alerte sur de sérieux risques d'érosion des droits des travailleurs et de la protection de l'environnement au Royaume-Uni (Institute for Public Policy Research (IPPR), The Brexit EU-UK trade deal: A first analysis, décembre 2020)
A titre d’exemple, on peut penser que la clause pourrait être appliquée aux recours aux contrats de travail dits à zero heure (contrats dans lesquels il n’y a pas de mention d’horaires ou de durée de travail minimum, le salarié étant rémunéré uniquement pour les heures travaillées, et devant pouvoir se rendre disponible à n'importe quel moment de la journée).
A savoir : les contrats à zéro heure sont très pratiqués au Royaume-Uni (voir les chiffres de « L’Office for National Statistics ») dans le secteur privé comme public. Mais ils existent également dans l’UE où ils font l’objet d’un encadrement (à défaut d’interdiction totale, les Etats ayant des positions trop divergentes pour réunir une majorité sur ce point). La Directive (UE) 2019/1152 sur les conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne consacre des dispositions aux « Contrats à la demande » (qui incluent les contrat à zéro heure) pour éviter les pratiques abusives : par exemple, présomption réfragable qu’il existe une relation de travail comprenant un nombre garanti d’heures payées sur la base d’heures travaillées pendant une période donnée.
Sur les aides d’Etat, le Royaume-Uni et l’UE sont convenus d’appliquer des principes communs sur le fonctionnement des régimes d'aides d'État analogues à ceux qui fondent les règles communautaires en matière d’aides publiques. Chaque Partie doit créer un organisme indépendant chargé d’évaluer ces aides. Mais le Royaume-Uni n’a pas repris à son compte les règles de concurrence européenne, comme l’aurait voulu l’Union, ni la procédure de contrôle ex ante prévue par le droit communautaire (celui-ci prévoit la notification des régimes nationaux d’aides d’Etat à la Commission qui en évalue l’impact prévisible avant qu'ils ne soient appliqués).
Il reste la question de l’évolution des normes. Que se passe-t-il si une partie modifie sa législation, notamment pour rendre ses produits plus compétitifs en violant les engagements des « règles du jeu équitables » ? Une « clause de rééquilibrage » permet à chaque partie de prendre des mesures pour rééquilibrer les relations si des divergences apparaissent dans les règles de droit de travail, d’environnement, ou encore d’aides d’Etat, avec des conséquences importantes sur le commerce ou les investissements. Les mesures prises doivent être limitées à ce qui est « nécessaire et proportionné pour remédier à la situation » et l’évaluation des conséquences doit se fonder « sur des éléments de preuve fiables et pas simplement sur des conjectures ou de lointaines possibilités ».
Dans le domaine de la sécurité, force est de constater que la coopération régresse sur le plan des informations de sécurité partagées. Quant aux politiques étrangère et de défense, elles ne sont pas couvertes.
Et l’Irlande du Nord?
L’accord commercial ne contient pas de dispositions concernant l’Irlande du nord. Elles figurent dans un protocole joint à l’accord de retrait de 2019 (Voir l'article: Contenu du nouvel accord sur le Brexit). Elles avaient été remises en cause, un temps, par le projet de loi présenté par le Gouvernement anglais à l’automne dernier. Mais finalement, le Gouvernement anglais ayant reculé pour pouvoir reprendre les négociations sur l’accord post brexit, les dispositions du protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord s’appliquent bien. Bien que n’étant plus membre de l’Union européenne, l’Irlande du Nord bénéficie toujours du marché unique et de l'union douanière et doit en appliquer les règles. Les produits du Royaume-Uni destinés à l’Irlande du Nord pour être ensuite vendus sur le marché européen, sont contrôlés aux points d'entrée : ports en mer d'Irlande, ainsi qu'aéroports. C’est la solution qui a été trouvée pour éviter le rétablissement d’une frontière terrestre entre l’Irlande du Nord et la République d'Irlande. Les règles européennes sur la TVA continuent de s’appliquer.
A savoir : en 2025, l’Assemblée d'Irlande du Nord pourra décider de reconduire ou d'abandonner les règles européennes. Si la reconduction est votée, ces règles seront appliquées pendant huit autres années, à la fin desquelles il y aura avant un nouveau vote de l'Assemblée. La reconduction, si elle est décidée, aura lieu pour quatre ans, avant un nouveau vote. Si les membres de l'Assemblée décident d'abandonner les règles européennes, celles-ci seront maintenues deux ans, le temps de trouver une solution alternative. Si aucune solution n’est trouvée, il pourrait y avoir un rétablissement de la frontière entre les deux Irlande... A moins qu’une réunification n’ait eu lieu entre temps car on sait que les tentations séparatistes post brexit sont grandes au Royaume-Uni comme le montre le cas de l’Ecosse.
Gibraltar dans l’espace Schengen
L’accès à l’enclave britannique sera désormais plus difficile pour …les britanniques qui devront se soumettre à un contrôle de passeport alors que les citoyens de l’UE et les gibraltariens pourront circuler librement en vertu de l’accord de Schengen. Mais cette libre circulation ne s’applique qu’aux personnes et non aux biens qui seront sous le régime de l’accord commercial entre le Royaume-Uni et l’UE et donc soumis aux contrôles et inspections douaniers et phytosanitaires. La frontière sera aéroportuaire.
Les étapes de l’adoption de l’accord commercial
Après l’adoption de l’accord à l’unanimité des Etats membres de l’Union européenne, et la signature du texte par les deux Parties le 30 décembre 2020, le Parlement européen doit se prononcer à son tour. Problème : il n’a pas eu le temps de le faire, le brexit étant effectif le 1er janvier 2021. Il a donc été décidé par les Etats et la Commission européenne d’appliquer l’accord commercial de façon transitoire à partir du 1er janvier jusqu’au 28 février 2021 (un passage en force que le Parlement européen n’a pas apprécié, on le comprend, mais avait-il un autre choix que d’accepter au nom de « esprit d’unité »?). Le Parlement est donc censé débattre et voter dans ce délai. L’examen de l’accord a commencé le 11 janvier 2021. Plusieurs commissions parlementaires étudient l’impact de l’accord sur leurs politiques respectives. Si le Parlement donne son aval, le processus européen se clôturera avec l’approbation de la décision finale définitive de signature de l'accord par le Conseil européen. Ce sera alors aux différents Etats d’organiser la procédure d’adoption.
L’adoption de l’accord devrait se produire, mais bien entendu, un « accident de parcours » n’est pas à exclure d’emblée, qu’il soit le fait d’un parlement national qui s’oppose, ou du Parlement européen. Ce n’est pas le scenario le plus probable.
En revanche, les « trous » dans l’accord, que l’on vient de rappeler, montrent que les discussions entre l’Union européenne et le Royaume-Uni pour définir leurs relations sont loin d’être terminées.
Et le gâteau évoqué par Boris Johnson n’est pas prêt à être consommé, faute d’ingrédients.
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