Remboursement d'un séjour touristique annulé durant la pandémie de covid
Une audience de la Cour de justice chambre à cinq juges
Source : Cour de Justice de l’Union Européenne
L'organisateur de voyages et de séjours touristiques qui résilie un contrat a l'obligation de rembourser intégralement le client, même en cas de circonstances exceptionnelles. C'est ce que prescrit une directive communautaire de 2015 (directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil).
La directive a pour but de protéger les droits des consommateurs en leur donnant une information complète sur les voyages qu’ils achètent et des droits en cas d’annulation. L’article 12 de la directive 2015/2302 dispose :
« 1. Les États membres veillent à ce que le voyageur puisse résilier le contrat de voyage à forfait à tout moment avant le début du forfait. Lorsque le voyageur résilie le contrat de voyage à forfait en vertu du présent paragraphe, il peut lui être demandé de payer à l’organisateur des frais de résiliation appropriés et justifiables. [...]
2. Nonobstant le paragraphe 1, le voyageur a le droit de résilier le contrat de voyage à forfait avant le début du forfait sans payer de frais de résiliation si des circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci, ont des conséquences importantes sur l’exécution du forfait ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination. En cas de résiliation du contrat de voyage à forfait en vertu du présent paragraphe, le voyageur a droit au remboursement intégral des paiements effectués au titre du forfait mais pas à un dédommagement supplémentaire.
3. L’organisateur peut résilier le contrat de voyage à forfait et rembourser intégralement le voyageur des paiements effectués pour le forfait, mais il n’est pas tenu à un dédommagement supplémentaire, si :
[...]
b) l’organisateur est empêché d’exécuter le contrat en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables et notifie la résiliation du contrat au voyageur sans retard excessif avant le début du forfait.
4. L’organisateur procède aux remboursements requis en vertu des paragraphes 2 et 3 ou, au titre du paragraphe 1, rembourse tous les paiements effectués par le voyageur ou en son nom pour le forfait moins les frais de résiliation appropriés. Ces remboursements au profit du voyageur sont effectués sans retard excessif et en tout état de cause dans les quatorze jours au plus tard après la résiliation du contrat de voyage à forfait ».
Les législations nationales ne peuvent pas remettre en cause ces dispositions.
Même dans des circonstances exceptionnelles ?
Même dans de circonstances exceptionnelles : c’est ce qu’a jugé la Cour de Justice de l’Union Européenne le 8 juin 2023.
Pour faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid, le gouvernement français avait adopté, en mars 2020, une ordonnance (ordonnance no 2020-315 adoptée sur le fondement d’une habilitation conférée au gouvernement français par la loi no 2020-290, du 23 mars 2020). Ce texte avait pour but « de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations » ainsi que les incidences sur l’emploi de l’épidémie. A ce titre, il dérogeait aux dispositions de la directive 2015/2302 en permettant à l’organisateur ou au vendeur d’un séjour touristique de ne pas rembourser le client mais de proposer un avoir en cas de résiliation d’un contrat entre le 1er mars et le 15 septembre 2020. Deux organisations de défense des consommateurs, UFC-Que Choisir et CLCV, avaient saisi le Conseil d’État français d’une demande d’annulation de l’ordonnance.
Le Conseil d’Etat avait alors renvoyé l’affaire pour poser à la CJUE des questions préjudicielles afin de savoir :
1- Si un avoir pouvait être considéré comme équivalent à un remboursement en argent sans trahir la directive ?
2- En cas de réponse négative, la crise liée au covid et ses conséquences économiques et sociales dans un secteur représentant plus de 7% du PIB et 30000 salariés pouvait-elle justifier une dérogation temporaire à l’obligation de remboursement ?
3- Dans le cas contraire, serait-il possible d’appliquer de façon progressive la décision qui annulerait l’ordonnance afin de ne pas trop pénaliser les professionnels du tourisme ?
La Cour (affaire C-407/21, UFC - Que choisir et CLCV) juge qu’un État membre ne peut invoquer la crainte de difficultés internes pour justifier de ne pas respecter les obligations résultant du droit de l’Union. Il ne peut invoquer la force majeure pour libérer, même temporairement, les organisateurs de voyages à forfait de l’obligation de remboursement prévue par la directive. La crise sanitaire de la pandémie de Covid-19 relève des « circonstances exceptionnelles et inévitables » au sens de la directive, au titre desquelles le remboursement intégral est prévu (point 51). Il s’agit en effet d’un événement échappant manifestement à tout contrôle et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. Cette notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables », « constitue une mise en œuvre exhaustive de la notion de « force majeure » aux fins de ladite directive ». Elle ne peut donc être invoquée comme motif de dérogation aux dispositions de la directive (56 et 57).
Le remboursement lui-même prend la forme d’une restitution sous forme d’argent (sauf si le voyageur accepte un bon à valoir) (35)
Enfin, la faculté d’aménager, dans des circonstances exceptionnelles (par exemple, face à des considérations impérieuses liées à la protection de l’environnement ou à l’approvisionnement en électricité d’un État membre), les effets d’une décision d’annulation n’est pas applicable en l’espèce, énonce la Cour. Selon elle, l’annulation de l’ordonnance n’est pas susceptible d’entraîner des conséquences préjudiciables sur le secteur des voyages à forfait d’une ampleur telle que le maintien de ses effets serait nécessaire aux fins de protéger les intérêts financiers des opérateurs de ce secteur.
Dispositif
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
1) L’article 12, paragraphes 2 et 3, de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 90/314/CEE, doit être interprété en ce sens que :
lorsque, à la suite de la résiliation d’un contrat de voyage à forfait, l’organisateur de ce forfait est tenu, en vertu de cette disposition, de rembourser le voyageur concerné de l’intégralité des paiements effectués au titre dudit forfait, un tel remboursement s’entend uniquement d’une restitution de ces paiements sous la forme d’une somme d’argent.
2) L’article 12, paragraphes 2 à 4, de la directive 2015/2302, lu en combinaison avec l’article 4 de cette directive, doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle les organisateurs de voyages à forfait sont temporairement libérés, dans le contexte de l’éclatement d’une crise sanitaire mondiale faisant obstacle à l’exécution des contrats de voyage à forfait, de leur obligation de rembourser aux voyageurs concernés, au plus tard 14 jours après la résiliation d’un contrat, l’intégralité des paiements effectués au titre du contrat résilié, y compris lorsqu’une telle réglementation vise à éviter que, en raison du nombre important de demandes de remboursement attendues, la solvabilité de ces organisateurs de voyages soit affectée au point de mettre en péril leur existence et à préserver ainsi la viabilité du secteur concerné.
3) Le droit de l’Union, notamment le principe de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens que :
il ne permet pas à une juridiction nationale saisie d’un recours en annulation d’une réglementation nationale contraire à l’article 12, paragraphes 2 à 4, de la directive 2015/2302 de moduler les effets dans le temps de sa décision annulant cette réglementation nationale.