L'introuvelable frontière irlandaise, 2ème partie
Belfast - Conversation
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L
e Gouvernement britannique a une solution simple aux difficultés d'aplication du Protocole sur l'Irlande : il faut tout bonnement réécrire le texte, et le faire à sa façon, bien entendu. Cette position n’est pas nouvelle : très vite, Boris Johnson avait exprimé bruyamment son regret d’avoir signé le Protocole, sans doute pour faire oublier aux nord irlandais qu’il leur avait juré « mordicus » qu’il n’y aurait pas de frontière. Mais à en croire David Frost, négociateur du Brexit, le Premier Ministre n’avait pas pris la mesure de ce qu’impliquait le Protocole. Une affirmation qui a provoqué les railleries de son propre parti.
D
avid Frost a présenté le 12 octobre 2021, une nouvelle version du protocole. Elle prévoit moins de contrôles douaniers et un arbitrage international qui se substituerait à la Cour de Justice de l’Union Européenne (épouvantail fédéraliste aux yeux du Gouvernement britannique) pour faire respecter les règles du marché unique en Irlande du nord. Faute de quoi, le Gouvernement britannique aurait recours à l’article 16 du Protocole qui permet à une des parties d’en suspendre l’application en cas « de graves difficultés économiques, sociétales ou environnementales qui sont susceptibles de perdurer ».
D
e son côté, l’Union européenne a également préparé un projet de modification du Protocole pour répondre « aux préoccupations exprimées par les citoyens et les entreprises d'Irlande du Nord… » et jouant l’apaisement, s’est affirmée désireuse de « nouer un dialogue fructueux et intensif avec le gouvernement britannique, dans l'intérêt de toutes les communautés d'Irlande du Nord.» (communiqué de presse du 13 octobre 2021).
L
a proposition de l’UE est d’alléger les contrôles sur certaines marchandises destinées à l'Irlande du Nord. Cette mesure concernerait "un large éventail" de marchandises provenant de Grande-Bretagne et "consommées en Irlande du Nord". Le but est, selon l’expression de la Commission européenne, de « créer un type de «voie express» pour la circulation des marchandises de Grande-Bretagne à l'Irlande du Nord, tout en établissant un mécanisme solide de suivi et de contrôle afin de protéger l'intégrité du marché unique ».
Plus en détail, les modifications proposées concernent quatre domaines :
-Questions relatives aux normes sanitaires et phytosanitaires (SPS)
Constatant les lacunes des dispositifs de contrôle mis en place par les britanniques, l’UE, bonne fille, propose une solution « sur mesure » qui se traduirait par « une simplification de la certification et une réduction des contrôles officiels pour une grande variété de produits de détail, soit une réduction d'environ 80 % des contrôles requis aujourd'hui ».
Evidemment, cet assouplissement ne doit pas se faire au détriment du marché unique. Par conséquent les marchandises devront être conditionnées et étiquetées de manière à indiquer qu’elles sont destinées à la vente au Royaume-Uni exclusivement. De plus, la construction de postes de contrôle frontaliers permanents devra être terminée et un contrôle renforcé des chaînes d'approvisionnement instauré. En cas de violation de ces conditions, un mécanisme de réaction rapide permettra à l'UE de prendre des mesures de rétorsion.
-Douanes
La charge administrative supplémentaire liée aux procédures et à la documentation douanières lorsque des marchandises circulent de Grande- Bretagne en Irlande du Nord devra être réduite pour les «marchandises ne présentant pas de risque» d'entrée sur le marché unique et pour certains opérateurs (petites et moyennes entreprises, par exemple). En contrepartie, un certain nombre de conditions sont posées : engagement du Royaume-Uni à fournir un accès complet et en temps réel aux systèmes informatiques, clause de réexamen et de résiliation, ainsi que la mise en œuvre par les autorités douanières et les autorités de surveillance du marché britanniques de mesures de suivi et de contrôle appropriées.
-Médicaments
La réglementation de l'Irlande du Nord, contrairement à celle du Royaume-Uni, reste alignée sur celle de l'UE et sur la surveillance réglementaire qu’elle prévoit, ce qui peut entrainer des ruptures d’approvisionnement des médicaments qui sont fournis à l'Irlande du Nord via ou depuis la Grande-Bretagne. L’UE propose des mesures pour que les entreprises pharmaceutiques britanniques puissent approvisionner facilement le marché nord-irlandais en médicaments autorisés par l'autorité réglementaire britannique. Elle prévoit aussi une dérogation
conditionnelle à l'autorisation de fabrication nécessaire à l'importation.
-Participation à l’application du Protocole
L'UE propose une plus grande transparence dans l'application du protocole en améliorant l'échange d'informations sur l'application du protocole grâce à des dialogues structurés avec les autorités nord-irlandaises, la société civile et les entreprises. Un site web sera également créé « pour présenter de manière claire et exhaustive la législation de l'UE applicable en Irlande du Nord ». Une manière de faire échec aux fake news dont sont friands les tabloïds anglais et pas seulement eux.
D
ans les propositions de l'Union européenne, pas un mot n’est dit en revanche du remplacement de la Cour de Justice par un Tribunal arbitral pour veiller à l’application des règles européennes. Pour l’Union, la question ne se discute pas : la juridiction chargée de faire respecter les règles du marché unique dans lequel l’Irlande du nord est restée est la Cour de Justice de l’Union Européenne. Prétendre comme le fait le Gouvernement anglais qu’il y aurait une atteinte à sa souveraineté est de la mauvaise foi. Le rôle de la CJUE sera la (grande) difficulté de la négociation qui s’annonce. Mais il n’est pas certain qu’elle soit la seule. Car rien ne permet d’affirmer que les autres propositions de l’UE convainquent le Gouvernement britannique et les unionistes nord irlandais.