JP communautaire
Principes constitutionnels et droit communautaire
Depuis 1919, il existe en Autriche une loi d’abolition de la noblesse à laquelle la Cour constitutionnelle autrichienne a reconnu rang de règle constitutionnelle mettant en œuvre le principe d’égalité. En vertu de cette loi, un citoyen autrichien ne peut, par exemple, acquérir un nom comprenant un titre de noblesse à la suite de son adoption par un ressortissant d’un autre état membre portant ce titre et l’utilisant comme élément constitutif de son nom.
Cette disposition a été attaquée par une autrichienne résidant en Allemagne et qui a, à la suite de son adoption, par M. Lothar Fürst von Sayn-Wittgenstein, citoyen allemand, obtenu comme nom de naissance le nom patronymique de ce dernier, avec son titre de noblesse, sous la forme « Fürstin von Sayn-Wittgenstein » (« Princesse de Sayn-Wittgenstein »). En Allemagne elle a obtenu, sous ce nom, un permis de conduire et elle a créé une société. Mais en Autriche, l'officier de l’état civil de Vienne a inscrit le nom « Sayn-Wittgenstein ». Selon madame Sayn-Wittgenstein, la non-reconnaissance des effets de son adoption sur son nom, constitue une entrave au droit de libre circulation consacré par l’article 21 du traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne, dans la mesure où cela la contraint à porter des noms différents dans deux pays membres. Elle faisait également valoir que son droit au respect de la vie familiale n’était pas respecté puisque le nom qu'elle avait porté de façon continue pendant quinze ans avait été modifié.
Ces arguments n’ont pas convaincu la Cour de justice de l’Union européenne, saisie du litige par une question préjudicielle de la Cour administrative suprême autrichienne. La Cour commence par rappeler que « chaque fois que le nom utilisé dans une situation concrète ne correspond pas à celui figurant dans le document présenté à titre de preuve de l’identité d’une personne ou que le nom figurant dans deux documents présentés conjointement n’est pas le même, une telle divergence patronymique est susceptible de faire naître des doutes quant à l’identité de cette personne ainsi qu’à l’authenticité des documents présentés ou à la véracité des données contenues dans ceux-ci » (considérant 69). Elle poursuit : « le risque concret, dans des circonstances telles que celles au principal, de devoir, en raison de la diversité de noms, dissiper des doutes quant à l’identité de sa personne constitue une circonstance de nature à entraver l’exercice du droit découlant de l’article 21 TFUE » (considérant 70) et donc qu’il y a bien en l’espèce « une restriction aux libertés reconnues par l’article 21 TFUE à tout citoyen de l’Union » (considérant 71). Bien que les règles régissant les noms patronymiques et les titres de noblesse relèvent de la compétence des états, elles ne doivent pas faire obstacle à l’application du droit communautaire.
Mais, rappelle la Cour, une entrave à la libre circulation peut être justifiée si elle se fonde sur des considérations objectives et si elle est proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national (considérant 81).
Pour ce qui est de la justification, l’Union européenne doit respecter l’identité nationale de ses États membres, dont fait aussi partie la forme républicaine de l’État. La Cour admet donc que « dans le contexte de l’histoire constitutionnelle autrichienne, la loi d’abolition de la noblesse en tant qu’élément de l’identité nationale, peut être prise en compte lors de la mise en balance d’intérêts légitimes avec le droit de libre circulation des personnes reconnu par le droit de l’Union » (considérant 83). D’autant plus que la loi d’abolition de la noblesse, comme le rappelle le gouvernement autrichien, constitue la mise en oeuvre du principe d’égalité des citoyens, principe compatible avec le droit de l’Union qui lui-même le consacre en tant que principe général et à l’article 20 de la Charte des droits fondamentaux.
Pour ce qui est de la proportionnalité de la mesure à l’objectif poursuivi, la Cour juge qu’il ne paraît pas disproportionné qu’un État membre cherche à réaliser l’objectif de préserver le principe d’égalité en interdisant toute acquisition, possession ou utilisation, par ses ressortissants, de titres de noblesse ou d’éléments nobiliaires susceptibles de faire croire que le porteur du nom est titulaire d’une telle dignité (considérant 93).
CJUE, 22/12/2010, aff.C-208/09, Ilonka Sayn-Wittgenstein/Landeshauptmann von Wien
Pas de marque communautaire pour une forme de lapin en chocolat
Même parés d’un ruban rouge agrémenté d’une clochette un lapin ou un renne en chocolat ne peuvent pas être déposés comme marque communautaire ! C’est ce que vient d’apprendre à ses dépens la société Lindt. Le règlement sur la marque communautaire (règlement nº 40/94 du 20 décembre 1993, remplacé par le règlement n° 207/2009 du 26 février 2009) dispose que tous les signes susceptibles d’une représentation graphique, tels que les mots, les dessins, la forme d'un produit et le conditionnement de celui-ci peuvent constituer des marques communautaires, mais à condition d’avoir un caractère distinctif.
Dans un arrêt du 17/12/2010, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé le refus de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) d’enregistrer comme marques communautaires différentes formes en chocolat représentant un lapin et un renne enrubannés et emballés dans du papier doré, présentées par l'entreprise Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG. Le tribunal approuve la décision de l’OHMI dans la mesure où ces formes n’avaient pas de caractère distinctif : le consommateur ne sera pas en mesure de déduire l'origine commerciale des produits désignés en se fondant sur les différents éléments dont les marques demandées sont composées (forme, emballage doré ou ruban rouge). En ce qui concerne la forme, un lapin, un renne sont des formes typiques sous lesquelles se présentent le chocolat et les produits en chocolat à certaines époques de l'année, notamment à Pâques et à Noël. Quant à l'emballage nombre d’entreprises emballent ces produits dans une feuille dorée. Et enfin, la décoration n’a rien de distinctif non plus puisque, observe le tribunal, il est d'usage courant de décorer des animaux en chocolat ou leur emballage de noeuds, de rubans rouges et de cloches.
Tribunal de l’Union européenne, 17/12/2010, aff.T-336/08, T-337/08, T-346/08 et T-395/08, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG / OHMI et T-13/09 August Storck KG / OHMI