Information et veille juridique en droit de l'Union européenne

Adoption de la directive sur les fonds alternatifs

 

A la suite du traumatisme causé par la crise financière, et dans le prolongement des réactions indignées et des serments vertueux qui s’en étaient suivis (et qui aujourd’hui semblent oubliés si l’on en juge par l’envolée des rémunérations  des traders), les pays du G20 s’étaient engagés à mettre un peu d’ordre dans la jungle des produits financiers.

En ligne de mire, en particulier : les fonds d'investissement alternatifs qui sont, comme le rappelait le commissaire européen Michel Barnier, des « acteurs majeurs sur les marchés financiers (plus de 50% des transactions sur les marchés certains jours) ». Ils regroupent un grand nombre de fonds (notamment, les fonds spéculatifs et de capital-risque -hedge funds et private equity-) (1)

En séance plénière le 11/11/2010, le Parlement européen a adopté, après des négociations difficiles avec le Conseil, la directive qui instaure de nouvelles règles pour la commercialisation des fonds d'investissement alternatifs. Par rapport à la situation existante (encadrement limité des fonds spéculatifs au niveau de l'Union européenne), la directive est un progrès évident même si ces règles ne sont pas encore assez strictes au goût de certains .

Ces nouvelles règles ont pour but :

  • De mieux réglementer les activités des fonds d’investissement alternatifs. Ainsi, la surveillance sera renforcée par l’exigence d’un enregistrement et d’un agrément des gestionnaires des fonds. A la demande du Parlement (le Conseil n’en voulait pas) la rémunération des gestionnaires et du personnel gérant les fonds est encadrée (annexe II de la directive) : notamment, 40 % au moins de la rémunération variable doit être reportée pour une période qui devrait être comprise entre 3 et 5 ans. Les bonus doivent être considérablement réduits si le fonds n’obtient pas de bons résultats, notamment au moyen d’une clause de récupération. Des règles spéciales sont également adoptées pour le capital-investissement, notamment sur le démembrement et la déclaration des actifs afin que les investisseurs soient dissuadés  d'essayer de prendre le contrôle d'une société dans le seul but de réaliser un profit rapide (articles 29 et 29 bis de la directive dans la version adoptée par le Parlement) (2). Les eurodéputés ont aussi voté un renforcement de la responsabilité du dépositaire pour éviter, dit le communiqué de presse du Parlement européen (3)  « un autre scandale du type Bernard Madoff ». Si un dépositaire délègue légalement ses tâches à d'autres, il devra fournir un contrat permettant au fonds - ou au gestionnaire du fonds - de réclamer des dommages à l'entité qui a obtenu la délégation, de manière à ce qu’il n’y ait pas de dilution de responsabilité à la faveur de la multiplication des délégations.

 

  • De mieux protéger les investisseurs en limitant les pratiques les plus risquées. C’est, par exemple, le cas des normes en matière de liquidités et de recours à l’effet de levier. Le levier est une méthode par laquelle le gestionnaire accroît l'exposition d'un fonds alternatif qu'il gère, notamment par l’endettement auprès des banques pour compenser l’insuffisance de capitaux propres qui caractérise les fonds spéculatifs. L’importance des  positions qu’ils prennent sur les marchés ne reflète donc pas celle des capitaux réellement réunis et, par conséquent, il existe un risque de non remboursement de la dette qui se répercute sur le système bancaire. La directive impose aux gestionnaires de définir un levier d’endettement maximum et cette information est donnée à l’autorité nationale compétente  du pays européen où le gestionnaire de fonds  est enregistré. La question posée notamment par deux eurodéputés verts Karima Delli et Pascal Canfin est : que se passe-t-il si le levier est excessif (4) ? Les autorités nationales imposent des limites  « si cela est jugé nécessaire », ce qui semble signifier qu’elles sont libres de leur appréciation et donc que rien ne les oblige à agir (article 25 –3). Quant à l’autorité européenne des marchés financiers, son rôle est cantonné par l’article 25 de la directive à la médiation et à la coordination (5).

 

  • D’établir un marché unique européen pour ces fonds (actuellement la commercialisation des fonds dans l’UE suppose de respecter les différents règles nationales). Point crucial et souvent relevé par les commentateurs, le champ d’application de la directive ne couvre que la commercialisation active des fonds. Autrement dit seul la vente et le démarchage par les gestionnaires de fonds sont soumis aux règles qu’elle énonce. En revanche, si c’est le client, l’investisseur qui contacte le gestionnaire, il s’agit de commercialisation dite « passive » qui ne relèvera donc pas de la directive. Une brèche dont les gérants de fonds hors UE ont vu évidemment immédiatement la portée (6). Qu’est-ce qui empêchera une banque, une compagnie d’assurance européennes, par exemple, d’acheter des parts de fonds hors UE ? Les obligations de la directive ne s’appliqueront alors pas et les régulateurs ne pourront pas évaluer les risques. Pour que le régulation soit pleinement efficace il aurait fallu ne pas faire la distinction entre commercialisation active et commercialisation passive, une « audace » que le législateur européen n’a pas eue. Il est à noter que la proposition de la Commission européenne ne faisait pas cette distinction (7) et que celle-ci a été voulue par le Conseil essentiellement. Pour ce qui est de la commercialisation active, le problème des gestionnaires hors UE est réglé par le système de passeport européen qui permettra aux gestionnaires de fonds situés dans les pays tiers de  commercialiser les fonds alternatifs dans toute l'Union sans avoir à demander l'autorisation à chaque État membre. Ce point était surveillé avec inquiétude par les gestionnaires hors UE car, parmi les solutions envisagées, il avait été évoqué un temps une interdiction complète de la commercialisation de produits de fonds non communautaires dans l’UE (8). Pour surmonter la difficulté, le Parlement a proposé des dispositions selon lesquelles les gestionnaires de fonds alternatifs devront obtenir un passeport uniquement si le pays non-UE où ils résident répond à des normes minimales de réglementation et s'il a conclu des accords avec les États membres afin d'assurer un partage de l'information, notamment fiscale. Le but est de lutter contre les paradis fiscaux (on estime que 80% des fonds spéculatifs sont situés dans de tels territoires) et il a été difficile de convaincre certains états de cette nécessité. Les états s’opposaient aussi à ce que l’octroi de ce passeport et le contrôle du respect des règles européennes par le fonds hors UE soit effectué par une autorité européenne comme le voulait le Parlement européen, préférant que ce soit la prérogative des superviseurs nationaux. En définitive le système mis en place est le suivant : un passeport délivré dans un pays membre permet à son titulaire d’opérer dans tout le territoire de l’UE.

Le Conseil devrait approuver le texte prochainement. Il entrerait en vigueur début 2011 avant d'être transposé par les états membres en 2013.

29/11/2010

 

 

1- Les Fonds d'investissement spéculatif ("hedge fund") étaient à l'origine destinés à couvrir (se protéger contre) certains des risques inhérents à leurs investissements en recourant à divers outils, comme la vente à découvert, par exemple. Toutefois, le terme "hedge fund" a fini par s'appliquer également aux fonds qui, en fait, ne protègent pas leurs investissements, mais qui peuvent utiliser des techniques de "couverture" ainsi qu'un large éventail d'autres méthodes d'investissement dans le but d'accroître le rendement de leurs investissements. Les fonds d'investissements spéculatifs tendent également à différer des fonds traditionnels d'investissements en ce sens que le gestionnaire du fonds perçoit, le cas échéant, une commission de performance pouvant atteindre 20% de l'augmentation de la valeur d'un fonds.Dans la plupart des pays, les fonds d'investissements spéculatifs ne sont pas accessibles aux investisseurs de détail, mais ne s'adressent qu'à un éventail limité d'investisseurs professionnels ou de particuliers fortunés qui satisfont à certains critères fixés par les instances de réglementation. Source : Parlement européen : Glossaire relatif à la directive sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs (AIFM)

2 - Résolution législative du Parlement européen du 11 novembre 2010 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs et modifiant les directives 2004/39/CE et 2009/.../CE

3 – Fonds alternatifs et de capital-investissement : le Parlement met en place de nouvelles règles

4 – Voir l’article : L’Europe va-t-elle vraiment réguler les fonds spéculatifs?, du blog « Échos d'euro-écolos », des eurodéputés verts Karima Delli et Pascal Canfin

5 – Selon Karima Delli et Pascal Canfin : « …au lieu d’assurer un cadre régulateur commun, la directive organise potentiellement la concurrence par le bas des autorités nationales. Rien n’empêchera donc les gestionnaires de choisir leur pays d’enregistrement au regard de la bienveillance des autorités nationales  sur ce critère-clé… »

6 -  Comme le souligne un article du Temps : « Cela signifie que les investisseurs de l’UE qui investissent chez les gérants de pays tiers ne rendront pas ces gérants assujettis à la Directive, à moins que les gérants ne fassent une commercialisation active de leurs fonds dans l’UE ».

Matthew Feargrieve (Responsable de la gestion d’actifs alternatifs et de la pratique des fonds d’investissement au bureau de Zurich d’Appleby) : « Les gérants suisses face à des choix difficiles »,  Le Temps, 25/10/2010

7 –  Commission des affaires économiques et financières du Parlement européen : Document de travail sur la proposition de directive sur les gestionnaires de fonds d’investissements alternatifs, Rapporteur : Jean-Paul Gauzès, 23/09/2009

8 – Matthew Feargrieve, article op.cit

 

 

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