La gouvernance économique européenne
Entre autres conséquences, la crise financière et économique aura eu pour effet de remettre dans l’agenda européen la gouvernance économique, c’est-à-dire, outre la politique monétaire, la coordination renforcée des politiques économiques et budgétaires des états membres de l’Union européenne et de la zone euro.
Car la crise a mis en lumière les lacunes de cette gouvernance. Ce que l’on appelle « gouvernance économique européenne » est en effet un attelage bancal : d’un côté une politique monétaire qui est une compétence communautaire exclusive exercée par la Banque Centrale Européenne, de l’autre des politiques budgétaire et économique qui sont de la compétence des états. Certes, il existe une certaine coordination de ces politiques économiques dans le cadre d’instances telles que l’ Eurogroupe et de la définition commune de stratégies de développement pour renforcer la compétitivité et l’emploi au niveau de l’UE. Mais elle s’est avérée largement insuffisante à la fois pour assurer le succès de cette stratégie (échec de la stratégie de Lisbonne) et pour trouver une réponse cohérente à la crise.
Le 29/09/2010, la Commission européenne a présenté un ensemble de propositions dont les principaux éléments sont l’amélioration de la surveillance des politiques budgétaires et des politiques macroéconomiques, avec des sanctions plus strictes et moins discrétionnaires pour les états qui ne respecteront pas les règles. Six textes sont proposés pour réformer le pacte de stabilité et mieux coordonner les politiques économiques et budgétaires nationales.
Réforme du Pacte de stabilité et de croissance pour une meilleure surveillance budgétaire
Le pacte de stabilité et de croissance met en oeuvre les dispositions du traité sur la discipline budgétaire et est ainsi le principal instrument de coordination et de surveillance des politiques budgétaires nationales.
La Commission européenne propose de modifier les volets préventif et correctif du règlement 1466/97 sur le Pacte de stabilité et de les compléter par de nouvelles dispositions contenues dans la « proposition de règlement sur la mise en oeuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro ».
Le volet préventif du règlement 1466/97 est destiné à garantir que les états ne mènent pas des politiques budgétaires dispendieuses en période de conjoncture économique favorable et se constituent au contraire des réserves pour les temps plus difficiles (on voit ce qui l’en a été par le passé, du moins en France). La Commission européenne propose de mettre l’accent sur le concept de politique budgétaire prudente et d’en assurer l’application en lui permettant d’adresser un avertissement aux États membres de la zone euro qui s’en écartent « sensiblement ». Si un « écart important » par rapport à une politique budgétaire prudente est constaté, l’état concerné devra constituer un dépôt portant intérêt.
Le volet correctif du pacte prévoit une procédure pour déficits excessifs afin d’éviter les « erreurs manifestes dans la conduite de la politique budgétaire ». La Commission propose de le modifier afin de donner au critère de l'évolution de la dette une importance égale à celle de l'évolution du déficit. C’est ainsi que les états membres dont la dette dépasse 60 % du PIB devront prendre des mesures pour la réduire à au rythme de 5% de la différence avec le seuil de 60 % sur trois ans. L’état déclaré en situation de déficit excessif devra constituer un dépôt ne portant pas intérêt, de 0,2 % du PIB. Si l’état ne respecte pas les recommandations qui lui auront été faites pour corriger le déficit excessif, le dépôt sera converti en amende. L’expérience a montré que les états ne s’empressaient guère pour voter des sanctions à l’encontre d’un des leurs. C’est pourquoi la Commission propose un système de vote qui permette une application plus facile des nouvelles règles : la proposition de sanction de la Commission sera considérée comme adoptée à moins que le Conseil ne la rejette à la majorité qualifiée. Et pour encourager les états « vertueux » la proposition prévoit que les intérêts produits par les dépôts et les amendes seront répartis entre les pays de la zone euro qui ne sont ni en situation de déficit excessif, ni en situation de déséquilibre excessif.
Dans la mesure où l’élaboration des politiques budgétaires est décentralisée, puisqu’elle est du ressort des différents états membres, le problème de la prise en compte des objectifs du Pacte de stabilité et de l’efficacité de la procédure concernant les déficits excessifs se pose. Ce constat a présidé à l’accord sur le "semestre européen" instauré afin d’assurer plus de cohérence avec les « règles du jeu » communautaires. Il impose le respect de normes européennes minimales dans les cadres budgétaires nationaux en matière de règles comptables, de statistiques et de prévisions pour faciliter le suivi des évolutions budgétaires.
Des outils pour tendre à plus de convergence des économies nationales
Comme on l’a vu plus haut, les objectifs du pacte doivent être pris en compte dans les cadres budgétaires nationaux (systèmes comptables, statistiques, pratiques de prévision, règles budgétaires, procédures budgétaires et relations budgétaires avec d'autres entités telles que les autorités locales ou régionales). A cette fin, les états doivent respecter un certain nombre d’exigences minimales. Car, selon le constat qui préside à ces propositions, les divergences actuelles sont source de perte de compétitivité.
Le mécanisme de prévention et de correction des déséquilibres macroéconomiques fait l’objet de deux propositions de règlement.
La première proposition comprend une évaluation périodique des risques de déséquilibres, qui comporte un mécanisme d'alerte afin de recenser les États membres qui présentent « un niveau potentiellement problématique » de déséquilibres macroéconomiques. Le mécanisme d'alerte est composé d'un tableau de bord avec des indicateurs économiques et financiers. L’évolution de ceux-ci a une valeur indicative qui doit servir à orienter l’évaluation mais elle ne doit pas être interprétée « de manière mécanique ». Les indicateurs seront donc complétés par une analyse économique et une évaluation technique par pays. Lorsqu’il apparaîtra des déséquilibres macroéconomiques graves ou qui menacent le bon fonctionnement de l'Union économique et monétaire dans un pays, le Conseil pourra adopter des recommandations et lancer une «procédure concernant les déséquilibres excessifs».
Le contrôle de l'exécution des mesures visant à corriger les déséquilibres macroéconomiques excessifs fait l’objet d’une seconde proposition de texte qui met l'accent sur les États membres de la zone euro. L’Etat pour lequel de tels déséquilibres auriont été constatés devra soumettre un plan de mesures correctives au Conseil, qui fixera des délais pour sa mise en oeuvre. En cas de non respect de celles-ci, des sanctions pourront être prises. Elles sont prévues dans le sixième et dernier texte proposé par la Commission. Comme en cas de dérapages budgétaires, les déséquilibres macroéconomiques et le refus persistant d’un état de la zone euro de ne pas suivre les recommandations de ses partenaires pourront faire l’objet d’une amende annuelle de 0,1 % du PIB du pays incriminé. Là encore, la sanction ne pourra être évitée que si le Conseil l’écarte par un vote à la majorité qualifiée, seuls les pays de la zone euro participant au vote.
La Commission européenne souhaite une adoption rapide de ces nouvelles règles. Mais rien n’est moins sûr, car les oppositions seront marquées entre les tenants d’une ligne de rigueur intransigeante et les adversaires d’un « carcan » communautaire. Notamment, les eurodéputés socialistes ont fait savoir que s’ils étaient favorables à une discipline budgétaire, elle n’était pas la panacée pour appuyer la croissance et l’emploi. La potion concoctée par la Commission européenne semble effectivement peu appétissante. On attend toujours des mesures plus offensives pour stimuler la croissance et l’emploi et préparer l’avenir. Pourquoi pas des politiques européennes intégrées et non pas seulement coordonnées, dans des domaines d’avenir tels que la recherche-développement, l’énergie ou les transports? Pourquoi ne pas donner de nouveaux objectifs à la BCE, qui ne seraient plus seulement la stabilité des prix ? Pourquoi ne pas avoir un Fonds monétaire européen (FME) pour gérer de façon commune les crises en pérennisant le Fonds de stabilisation financière qui existe depuis mai mais de façon provisoire (mais il faudrait pour cela vaincre les objections de l’Allemagne en particulier). Et qu’en est-il des discussions entre états (il y en a-t-il d’ailleurs ?) pour parvenir progressivement à une politique fiscale commune? Pour le moment, ces questions n’ont pas de réponse, et la discussion du budget pour 2011 et des perspectives financières pour après 2013 semble se focaliser sur les réductions de dépenses.
Propositions de la Commission ici
18/10/2010