Publicité comparative dans l'Union européenne...une histoire de bulles belge
Le monde pétillant des producteurs de champagne est …en ébullition.
En 2001, une société belge, De Landtsheer SA, qui produit et commercialise des bières sous la marque « Malheur », lance une nouvelle bière, sous la dénomination «Malheur Brut Réserve» afin de mettre l’accent sur un processus d’élaboration inspiré de la méthode de production du vin mousseux. Et pour bien faire passer le message, la société utilise également (sacrilège !) l’expression «Champagnebier» sur les étiquettes, les mentions «Brut Réserve», «La première bière Brut au monde», «Bière blonde à la méthode traditionnelle» et «Reims-France» et une référence aux vignerons de Reims et d’Épernay.
Réaction immédiate des producteurs de champagne, fort marris de se voir ainsi « parasités » : en mai 2002, le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC) et Veuve Clicquot Ponsardin SA citent De Landtsheer devant le tribunal de commerce de Nivelles , en Belgique. Ils demandent que l’usage des mentions faisant allusion à la méthode champenoise soit interdit au double motif qu’elles sont trompeuses et constituent une publicité comparative illicite.
Condamnée en juillet 2002 à ne plus utiliser l’indication «Méthode traditionnelle» et l’indication de provenance «Reims-France», de même que l’appellation d’origine «Champagne» dans l’expression «Champagnebier», et sommée de ne plus faire référence aux vignerons de Reims et d’Épernay et à la méthode de production du champagne, la société De Landtsheer accepte de renoncer à l’usage de l’appellation d’origine «Champagne» mais fait appel du jugement pour les autres mentions. Ne voulant pas être en reste, le CIVC et Veuve Clicquot forment un appel incident portant sur l’usage des termes «Brut», «Réserve», «Brut Réserve» et «La première bière Brut au monde», que le tribunal de commerce avait autorisé De Landtsheer à continuer à utiliser.
La Cour d’appel renvoie l’affaire devant la Cour de justice des Communautés européenne à charge pour cette dernière de répondre à diverses questions, ces réponses conditionnant l’issue du litige devant la cour d’appel (procédure du renvoi préjudiciel).
L’ une d’entre elles est celle de savoir si l’article 3bis de la directive 84/450 sur la publicité comparative a été respecté. Cet article énonce une série de conditions pour qu’une publicité comparative soit licite. Il précise notamment que tel est le cas lorsque « pour les produits ayant une appellation d'origine, elle (ndlr : la publicité) porte dans chaque cas sur des produits ayant la même appellation » (article 3 bis,1,f ) (2). La Cour d’appel demande si cette disposition signifie qu’est illicite toute comparaison qui, pour des produits n’ayant pas d’appellation d’origine, se rapporte à des produits ayant une telle appellation, ce qui est l’argument des producteurs de Champagne ou si au contraire, une telle comparaison est permise, conformément à ce que soutient la société De Landtsheer. Cette dernière fait valoir que la condition posée par l'article 3bis 1,f n’est applicable qu’à la publicité qui compare des produits ayant une appellation d’origine et que la condition de régularité de la comparaison implique que l’appellation d’origine des produits comparés soit la même, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque les messages publicitaires controversés visent à promouvoir la vente d’un produit – la bière en cause– qui ne bénéficie pas d’une appellation d’origine.
Dans sa décision rendue le 19/014/2007 (3), la Cour lui donne raison, prenant ainsi le contrepied de l’avocat général qui dans ses conclusions s’était prononcé pour l’illicéité de la publicité comparative quand elle confronte un produit non protégé par une appellation à un produit jouissant de cette protection.
Selon la Cour, cette question « doit être examinée à la lumière des objectifs de la directive » (considérant 61) qui sont de « mettre en évidence de manière objective les avantages des différents produits comparables et à stimuler la concurrence entre les fournisseurs de biens et de services dans l’intérêt des consommateurs » (considérant 62). Dès lors qu’elle « compare des caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives et qu’elle n’est pas trompeuse », la publicité comparative "peut être un moyen légitime d’informer les consommateurs de leur intérêt" (même considérant). Et, poursuit la Cour, « il est de jurisprudence constante que les conditions exigées de la publicité comparative doivent être interprétées dans le sens le plus favorable à celle-ci » (considérant 63). De plus, elle remarque qu'une autre condition prévue par la directive pour que la publicité comparative soit licite, est qu’elle ne tire pas indûment profit de la notoriété attachée à une marque, à un nom commercial ou à d’autres signes distinctifs d’un concurrent ou de l’appellation d’origine de produits concurrents (article 3bis,1,g de la directive 84/450). Or, cette condition serait sans raison d’être (privée d’effet utile, dit la Cour) si les produits n’ayant pas une appellation d’origine ne pouvaient être comparés avec d’autres qui bénéficient d’une telle appellation. Conclusion: « dès lors que toutes les autres conditions de licéité de la publicité comparative sont respectées, une protection des appellations d’origine qui aurait pour effet d’interdire de manière absolue les comparaisons de produits n’ayant pas d’appellation d’origine avec d’autres qui bénéficient d’une telle appellation serait injustifiée » et contraire aux dispositions de la directive 84/450 (considérant 70).
Champagne donc pour la société De Landtsheer ! Celle-ci remporte une manche importante et semble en bonne voie pour pouvoir continuer à commercialiser sa bière en se référant au prestigieux champagne, sans craindre de représailles, à moins que les producteurs ne démontrent qu’elle ne tire « indûment profit » de la notoriété attachée à cette appellation.
Mais ceci est une autre affaire….
20/04/2007
1- Directive n°84/450 du 10 septembre 1984 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative
2 - La numérotation des articles correspond à la version de la directive 84/450 telle que modifiée par la directive 97/55, version prise en compte dans l’arrêt de la Cour (et non celle résultant des modifications apportées par la directive 2005/29)
3 - CJCE, 19/04/2007, aff. C-381/05, De Landtsheer Emmanuel SA / Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, Veuve Clicquot Ponsardin SA