Le 17/12/2004, le Conseil européen est parvenu à un accord sur l’ouverture de négociations d’adhésion avec la Turquie. Cela ne s’est pas fait sans mal. L’accord des chefs d’état et de gouvernement était prévisible, mais la perspective de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne est entourée de difficultés et d’incertitudes dont les conclusions du Conseil se font l’écho (1).
Reconnaissance de Chypre par la Turquie : un tabou levé ?
Le problème de la reconnaissance de Chypre par la Turquie a pu laisser penser un instant que les discussions allaient capoter . En effet, les représentants chypriotes avaient averti qu’ils opposeraient leur veto à l’ouverture de négociations avec la Turquie si celle-ci persistait dans son refus de reconnaître la République de Chypre (2). Il fallait donc définir quelle forme pourrait prendre l’engagement de la Turquie afin de satisfaire les uns et les autres. La solution retenue a été qu'Ankara s’engage à parapher un protocole diplomatique étendant aux dix nouveaux membres de l'Union Européenne, dont la République de Chypre, l'accord d'association conclu en 1963 entre la Turquie et l’Union, Le texte des conclusions du Conseil « salue la décision de la Turquie de signer le protocole sur l’adaptation de l’accord d’Ankara prenant en compte l’adhésion de dix nouveaux états membres ». Pour l’instant, il n’y a donc pas de « reconnaissance légale formelle » de Chypre (3), mais engagement à une reconnaissance implicite qui permet à la Turquie de « sauver la face ».
Relations de bon voisinage
Au delà de la question de la reconnaissance de Chypre, c’est la politique extérieure de la Turquie qui doit être modifiée de manière à résoudre les contentieux actuels qui l’opposent à d’autres états. Les conclusions du Conseil insistent sur la nécessité de parvenir à un engagement « non équivoque » d’entretenir de « bonnes relations de voisinage » et contiennent aussi une menace : si la Turquie ne modifie pas sa politique extérieure de manière à résoudre les contentieux actuels, cela aura des « répercussions sur le processus d’adhésion ».
Conditions des négociations d’adhésion
Les négociations d’adhésion doivent s’ouvrir le 03/10/2005. Elles devraient durer au moins dix ans.
Le texte des conclusions du Conseil « salue les progrès décisifs réalisés par Ankara dans son processus ambitieux de réformes et exprime sa confiance dans la capacité de la Turquie à soutenir son processus de réforme ». Mais il prend également soin de rappeler le caractère non automatique de l’adhésion : « Ces négociations sont un processus ouvert…dont le résultat ne peut être garanti à l’avance … ». Si le pays candidat n’est pas en mesure de se conformer complètement aux obligations liées à la qualité d’état membre, il doit avoir l’assurance « qu’un lien, le plus fort possible, lui permettra d’être pleinement ancré dans les structures de l’Union Européenne».
Les négociations se dérouleront dans un cadre fixé par le Conseil sur proposition de la Commission :
- Elles auront lieu par chapitres (un chapitre correspondant à une politique déterminée : ex : politique agricole, marché intérieur, politique de cohésion…) . Les décisions constatant l’ouverture et la clôture d’un chapitre seront prises à l’unanimité des états et dépendront de la mise en oeuvre des réformes sur le terrain
- Des périodes transitoires « de longue durée », des dérogations et des clauses de sauvegarde permanentes pourront être définies, sur proposition de la Commission, dans des domaines tels que la libre circulation des personnes, les politiques structurelles (aides au développement régional) et l’agriculture.
- En cas de violation grave et persistante dans un pays candidat des principes de liberté, démocratie, respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’état de droit, les négociations pourront être suspendues par un vote du Conseil à la majorité qualifiée.
- L'adhésion ne pourra être conclue avant 2014, lorsque l'Union Européenne aura révisé son budget.
Autant de conditions et de précautions qui donnent le sentiment que l’Union Européenne s’engage dans ces nouvelles négociations d’adhésion…à reculons.
1 - Conseil Européen- Bruxelles, 16 et 17 décembre 2004, Conclusions de la Présidence
2 - En 1974, la Turquie a envahi Chypre, pour faire échec à un coup d'Etat chypriote-grec destiné à rattacher l'île à la Grèce, avec le soutien de la junte militaire alors au pouvoir en Grèce. L’île est depuis divisée en deux parties : le sud est sous l’autorité de la République de Chypre reconnue internationalement comme la seule entité légitime de l'île, le nord est sous domination turque. Les plans de réunification de l’île ont pour le moment échoué. En avril 2004, le plan de paix proposé par le secrétaire général de l'Onu Kofi Annan a été rejeté lors d'un référendum, par les trois quarts de la population chypriote-grecque. La Turquie refuse de reconnaître la république de Chypre avant le règlement du sort de l’île, et la question exacerbe les sentiments nationalistes en Turquie. Actuellement donc, Chypre est membre de l’Union Européenne mais l’acquis communautaire ne s’applique pas dans la partie nord.
3 - Pour reprendre les termes Jan Peter Balkenende, Président du Conseil, qui reconnaissait que la signature de ce texte n'était «pas une reconnaissance légale formelle» du gouvernement chypriote grec mais que cela constituait «une étape susceptible de faire avancer les choses à cet égard.»