Information et veille juridique en droit de l'Union européenne

Les informations sur la toxicité du glyphosate doivent être accessibles, selon le Tribunal de l'Union européenne


Du glyphosate, on retient surtout les craintes qu'il inspire pour la santé et le combat mené pour son interdiction.

Le glyphosate est un produit chimique qui entre dans la composition des pesticides. Il s'agit d'un des herbicides les plus utilisés dans l’Union européenne et il entre notamment dans la composition du RoundUp. Le 27 novembre 2018, les états membres de l'Union européenne ont reconduit pour cinq ans l'autorisation du glyphosate dans l'Union et la décision a été formellement adoptée par la Commission européenne le 12 décembre.

Controverse et opacité sur les risques du glyphosate

Elle a été dénoncée avec virulence par les opposants au glyphosate pour lesquels les données scientifiques ont été ignorées au  profit du « business » et qui remettent en cause l'expertise des agences sanitaires chargées d'évaluer les propriétés dangereuses d'un produit ou d'une substance et les risques qu'elle peut présenter pour la santé et l'environnement (en l'occurrence, au niveau de l'Union européenne, il s'agit de l'Agence européenne des produits chimiques : ECHA et de l’Autorité européenne de sécurité des aliments : EFSA). Dans leur évaluation, les agences s'appuient notamment sur les données fournis par les industriels qui ont l'obligation de mener des études (éco)toxicologiques visant à identifier les propriétés dangereuses des substances. L'actualité a aussi fait apparaître des conflits d'intérêts qui alimentent une défiance sur l'impartialité et la qualité des avis des agences, d'autant plus que certaines informations ne sont pas publiques au nom de la protection du secret des affaires.

Le Parlement européen a également pris position le 24 octobre 2018 en jugeant dans une résolution que la proposition de décision d'autorisation ne permettait pas de garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l'environnement Il a réitéré son opposition le 16 janvier 2019 en votant une résolution pour demander une réforme de la procédure d'autorisation (rappelons que les eurodéputés, pourtant directement élus par les citoyens, ne n'ont pas leur mot à dire sur l'autorisation, un exemple du mauvais fonctionnement de cette Europe des nations que veulent nous imposer les souverainistes).

De même, la France qui était opposée au renouvellement de l'autorisation et a voté contre, a fait savoir que le glyphosate serait interdit dans les trois ans dans le pays (délai jugé nécessaire pour permettre aux agriculteurs de trouver des solutions alternatives).

Enfin, une initiative citoyenne européenne demandant l'interdiction d glyphosate a obtenu plus d'un million de signatures et a de ce fait été examinée par la Commission européenne, dont la réponse a été jugée insuffisante par les organisations qui appuyaient l'initiative.

L'accès à l'information sur les évaluations des risques du glyphosate

Le Tribunal de l'Union européenne vient d'apporter une aide aux adversaires du glyphosate  par des arrêts du 7 mars 2019 ( Anthony C. Tweedale/Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), aff.T-716/14 et Hautala e.a/EFSA,T-329/17 ). Dans ces arrêts, le Tribunal annule les décisions de  l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)  qui refusaient l'accès aux études de toxicité et de cancérogénicité du glyphosate non publiées.

En l'espèce, plusieurs eurodéputés avaient demandé à consulter différents documents détenus par l'Agence en s'appuyant sur les règlements no 1049/2001 du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission et  1367/2006 du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. Les documents que voulaient consulter les députés contenaient les éléments relatifs à la méthodologie et aux résultats et analyses des études sur la cancérogénicité du glyphosate.

L'Agence avait refusé au nom du secret des affaires (« la divulgation...de ces études pouvait porter atteinte aux intérêts commerciaux de leurs propriétaires »  c'est à dire des entreprises qui avaient soumis les rapports d’études). Elle avait estimé qu'il n'existait pas d’intérêt public supérieur qui aurait justifié la divulgation, et que l’accès aux parties de ces études n’était pas nécessaire pour vérifier l’évaluation scientifique des risques réalisée.

Des réponses inacceptables pour les demandeurs qui avaient saisi le Tribunal de l'Union européenne d'un recours en annulation des décisions de l'EFSA.

Le Tribunal leur donne raison en écartant les arguments et arguties juridiques de l'EFSA (qui faisait une interprétation restrictive des dispositions des règlements 1049/2001 et  1367/2006).
Pour cela, il centre son analyse sur la question de savoir si les informations demandées par les parlementaires « ont trait à des émissions dans l’environnement ». La question est fondamentale pour la résolution du litige car l’article 4 §2, du règlement n°1049/2001 prévoit que les refus d'accès aux informations demandées ne sont possibles que si aucun « intérêt public supérieur » ne justifie leur divulgation. Et l’article 6 §1, du règlement 1367/2006 dispose que « la divulgation est réputée présenter un intérêt public supérieur lorsque les informations demandées ont trait à des émissions dans l’environnement ». Cette présomption prime sur tout autre considération, comme la protection du secret des affaires.

Mais encore faut-il savoir ce que l'on entend par « émissions dans l'environnement ». Et c'est ce que le Tribunal va déterminer.

Selon l'EFSA, il n'y pas d'obligation de communiquer les études demandées car elles « ne portent pas sur des émissions réelles ou prévisibles dans l’environnement, ni sur les effets de telles émissions ». Le Tribunal rejette cette première objection  en jugeant qu'on ne peut limiter les informations sur les émissions dans l'environnement aux informations concernant les émissions effectivement libérées dans l’environnement lors de l’application du produit phytopharmaceutique ou de la substance active en cause sur les plantes ou le sol (point 86). Il suffit que les émissions soient « prévisibles » pour justifier le droit à accéder aux informations les concernant, dans la mesure où le produit ou la substance sont utilisés « dans des conditions normales ou réalistes...correspondant à celles pour lesquelles l’autorisation de mise sur le marché dudit produit ou de ladite substance est octroyée »  (point 87). Or, rappelle le juge, le glyphosate est une substance active qui est destinée à être libérée dans l'environnement, et les émissions de cette substance, loin d'être hypothétiques, sont bien réelles (point 92). L'EFSA ne peut donc pas refuser l'accès aux études de toxicité demandées.

La seconde objection de l'EFSA, selon laquelle les études demandées ne concernent pas les émissions de glyphosate mais leurs incidences est également rejetée par le Tribunal qui rappelle que l'objectif du règlement 1367/2006 est de favoriser la participation du public à la prise de décision en lui donnant la possibilité de contrôler les instances compétentes et de leur demander des comptes. Cela implique qu'il ait accès « aux informations lui permettant de vérifier si les émissions ont été correctement évaluées » et qu'il soit mis en mesure « de raisonnablement comprendre la manière dont l’environnement risque d’être affecté par lesdites émissions .» (point 98).

Enfin, le Tribunal réfute la troisième objection de l'EFSA qui faisait valoir que les conditions d’exposition utilisées pour les tests en laboratoire ne sont pas comparables à la fourchette des expositions humaines et environnementales et que les doses utilisées ne seraient pas liées aux émissions prévues. Selon le juge, pour que des études puissent être qualifiées d’informations qui « ont trait à des émissions dans l’environnement », « ce ne sont pas tant les conditions de réalisation de ces études qui importent, notamment le fait qu’elles aient été réalisées ou non en laboratoire, mais leur objet. » (point 115).
Et le juge assène le coup de grâce en mettant en évidence le caractère fallacieux et contradictoire des arguments de l'EFSA en remarquant que celle-ci ne peut « soutenir que, les conditions d’exposition utilisées pour les tests en laboratoire n’étant pas comparables à la fourchette des expositions humaines, les études demandées ne seraient pas liées aux utilisations envisagées et seraient purement théoriques. » (point 116), car,  « Cela signifierait que les études demandées ont fixé l’absence de cancérogénicité pour l’être humain du glyphosate à partir de données purement hypothétiques qui n’ont aucun rapport avec la manière dont les êtres humains sont ou seront exposés au glyphosate lors de son utilisation. » (point 117).


Dispositif

Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre)
déclare et arrête :
1)      La décision de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) du 14 mars 2017 est annulée en ce que l’EFSA a refusé l’accès aux parties « Matériels, conditions expérimentales et méthodes » et « Résultats et analyses » de douze études de cancérogénicité concernant la substance active glyphosate.
2)      L’EFSA supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Mmes Heidi Hautala, Michèle Rivasi, MM. Benedek Jávor et Bart Staes.
3)      Cheminova A/S, Monsanto Europe et Monsanto Company supporteront chacune leurs propres dépens.



Arrêts liés
Sur la notion d’informations qui « ont trait à des émissions dans l’environnement »


Cour de Justice de l'Union européenne, 23 novembre 2016, Commission/Stichting Greenpeace Nederland et PAN Europe, C‑673/13 P, EU:C:2016:889

point 73 : « ...cette notion ne saurait, pour autant, être limitée aux seules informations concernant les émissions effectivement libérées dans l’environnement lors de l’application du produit phytopharmaceutique ou de la substance active en cause sur les plantes ou le sol, lesquelles émissions dépendent notamment des quantités de produit utilisées dans les faits par les agriculteurs ainsi que de la composition exacte du produit final commercialisé. »
point 74 : « Ainsi, relèvent également de ladite notion les informations sur les émissions prévisibles du produit phytopharmaceutique ou de la substance active en cause dans l’environnement, dans des conditions normales ou réalistes d’utilisation de ce produit ou de cette substance correspondant à celles pour lesquelles l’autorisation de mise sur le marché dudit produit ou de ladite substance est octroyée et prévalant dans la zone où ce produit ou cette substance est destiné à être utilisé . »

Cour de Justice de l'Union européenne, 23 novembre 2016, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting, C‑442/14 ( points relatifs à l'application de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement)

point 86 : «...le public doit avoir accès non seulement aux informations sur les émissions en tant que telles, mais aussi à celles concernant les conséquences à plus ou moins long terme de ces émissions sur l’état de l’environnement, telles que les effets desdites émissions sur les organismes non ciblés. En effet, l’intérêt du public à accéder aux informations relatives aux émissions dans l’environnement est précisément de savoir non seulement ce qui est, ou sera de manière prévisible, rejeté dans l’environnement, mais aussi...de comprendre la manière dont l’environnement risque d’être affecté par les émissions en question. »

point 87 : «   Il s’ensuit que la notion d’« informations relatives à des émissions dans l’environnement » au sens de l’article 4, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2003/4 doit être interprétée comme couvrant non seulement les informations sur les émissions en tant que telles, c’est-à-dire les indications relatives à la nature, à la composition, à la quantité, à la date et au lieu de ces émissions, mais aussi les données relatives aux incidences à plus ou moins long terme desdites émissions sur l’environnement ».

point 89 : « ce qui importe ce n’est pas tant que les données en cause proviennent d’études réalisées en tout ou partie sur le terrain ou en laboratoire, ou encore de l’examen de la translocation, mais que lesdites études aient pour objet d’évaluer des « émissions dans l’environnement » au sens de l’article 4, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2003/4 – c’est-à-dire, comme exposé aux points 77 et 78 du présent arrêt, les émissions effectives ou prévisibles du produit ou de la substance en cause dans l’environnement dans des circonstances représentatives des conditions normales ou réalistes d’utilisation de ce produit ou de cette substance –, ou d’analyser les incidences de ces émissions. »

point 90 : « Ainsi, ne constitueraient notamment pas des « informations relatives à des émissions dans l’environnement » des données extraites d’essais ayant pour objet d’étudier les effets de l’utilisation d’une dose du produit ou de la substance en cause nettement supérieure à la dose maximale pour laquelle l’autorisation de mise sur le marché est octroyée et qui sera utilisée en pratique, ou dans une concentration bien plus élevée, dès lors que de telles données se rapportent à des émissions non prévisibles dans des conditions normales ou réalistes d’utilisation. »

Cour de Justice de l'Union européenne, 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660

point 98 : «...le règlement no 1367/2006 poursuit, conformément à son article 1er, l’objectif de garantir une mise à disposition et une diffusion systématiques aussi larges que possible des informations environnementales (arrêt du 13 juillet 2017, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission, C‑60/15 P, EU:C:2017:540, point 64 et jurisprudence citée). Il découle, en substance, du considérant 2 de ce règlement que l’accès à ces informations vise en effet à favoriser une participation plus efficace du public au processus décisionnel de manière à renforcer l’obligation des instances compétentes de rendre des comptes dans le cadre de la prise de décision en vue de sensibiliser l’opinion publique et d’obtenir son adhésion aux décisions adoptées... »
 

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