Information et veille juridique en droit de l'Union européenne

Le casse tête du Brexit, 3

 

Quatrième question : quels contenu et enjeu des négociations ?

En se lançant dans l’aventure du brexit, le Royaume-Uni s’est aussi lancé dans l’inconnu avec le danger réel de voir sa situation se dégrader à cause de la sortie de l’UE. D’ores et déjà le temps presse pour mettre fin à une période d’incertitude néfaste (pression des marchés, décisions d'investissements retardées, risques de délocalisations…), mais les négociations vont être difficiles et longues. Et pendant ce temps le Royaume-Uni reste membre de l’Union donc obligé de continuer à contribuer au budget européen et à appliquer le droit communautaire. Ceux qui ont voté pour le brexit vont-ils comprendre et accepter cette situation ?

On veut nous faire croire que personne n’avait envisagé de « plan B » au Royaume-Uni (dans l’UE apparemment non plus, d’ailleurs), ce qui paraît tout de même impensable. Si cela s'avérait exact, il y aurait de quoi mettre en doute (une fois de plus?) les compétences de ceux qui nous gouvernent. Le vote du 23 juin aurait donc surpris tout le monde y compris les pro-brexit qui manifestement n’avaient aucun autre programme que de dénigrer l’Union européenne. Le Royaume-Uni s’est alors trouvé bien dépourvu quand le brexit est survenu. Dans cette hypothèse, il faut à présent que le Gouvernement May mette au point une position fixant des objectifs et un nouveau statut qu’il puisse proposer aux autres états de l’Union. Et il faut le faire avant que ne s’engage le compte à rebours de deux ans à partir de la notification du retrait, car une fois les négociations terminées, les traités cesseront d’être applicables au Royaume-Uni, qu’un accord ait été ou non trouvé.

Or, l’UE a clairement annoncé qu’elle ne voulait pas d’un accord à n’importe quel prix et qu’il y avait des lignes rouges à ne pas franchir. La déclaration du 29 juin énonce : une fois reçue la notification de la décision de retrait, « le Conseil européen adoptera des orientations pour les négociations à mener en vue d'un accord avec le Royaume-Uni. Dans le cadre du processus à venir, la Commission européenne et le Parlement européen joueront pleinement leur rôle conformément aux traités. Nous espérons que, à l'avenir, le Royaume-Uni sera un partenaire proche de l'UE et nous attendons avec intérêt que le Royaume-Uni fasse part de ses intentions à cet égard. Tout accord qui sera conclu avec le Royaume-Uni comme pays tiers devra être équilibré en ce qui concerne les droits et les obligations. L'accès au marché unique passe obligatoirement par l'acceptation de chacune des quatre libertés ». Ce que le Président du Conseil européen, Donald Tusk, a traduit par une formule plus lapidaire dans une intervention devant les députés européens le 5 juillet dernier : « pas de marché unique à la carte ». L’UE ne « bradera » pas les libertés du marché intérieur a-t-il conclu.  

Car faire partie du marché intérieur implique d’appliquer toutes les libertés qui le constituent : liberté de circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes. Cela implique aussi d’accepter la primauté du droit communautaire sur le droit national, ce qui signifie que, en cas de contradiction entre une législation nationale et une législation communautaire, cette dernière l’emporte et s’applique seule. 

Or, la contestation de ces deux points a été l’argument phare de la campagne des pro-brexit, au nom de la lutte contre l’immigration, en ce qui concerne le premier, et de la restauration de la souveraineté nationale, pour le second. « Dans l’idéal » (pour les britanniques) seules devraient continuer à s’appliquer les règles du marché intérieur leur permettant de commercer sans obstacles avec les états de l’Union.

Cette solution conduirait à faire bénéficier le Royaume-Uni d’un statut aussi profitable pour lui qu’inédit. On a souvent évoqué pour décrire ce que serait les relations futures du Royaume-Uni avec l’UE le cas de la Norvège, de l'Islande et du Liechtenstein qui ont constitué avec l’UE l’espace européen de libre échange. Cela permet à ces pays d’avoir des relations économiques avantageuses avec l’Union puisqu’ils ont accès au marché intérieur. Mais en contrepartie, ils doivent appliquer le droit communautaire sur lequel ils n’ont aucune prise puisque étant seulement des partenaires économiques et non des membres de l’UE ils ne participent pas à la prise de décision et donc au processus législatif communautaire. Par ailleurs, on l’oublie souvent, ces pays sont membres de l’espace Schengen. Enfin, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein contribuent financièrement à l’Union européenne.

Il est donc paradoxal d’envisager pour le Royaume-Uni un statut aligné sur celui de ces pays puisque cela irait à l’encontre de ce qui était prôné pour justifier une sortie de l’Union : la reprise du contrôle des frontières et de la souveraineté déléguée à Bruxelles, et faire des économies financières. Comment le gouvernement britannique pourrait-il expliquer aux citoyens que, finalement, il doit continuer à appliquer les règles contestées, qu’il n’a même plus son mot à dire sur leur évolution et qu’il doit contribuer financièrement au fonctionnement de l’UE ?

Le statut de la Suisse vis-à-vis de l’Union européenne a été également évoqué comme modèle possible et ne semble pas être une solution plus satisfaisante. Les relations entre la Suisse et l’UE reposent sur plus de cent accords bilatéraux sectoriels. C’est envisageable pour un pays qui, comme la Suisse, n’a jamais été membre de l’Union. Mais pour le Royaume-Uni cela supposerait de revoir toutes les relations actuelles avec l’Union contenues dans des milliers d’actes juridiques avant de pouvoir conclure les accords bilatéraux. Un travail de titan. Sans compter le fond des accords à définir et qui risquent d’être beaucoup moins avantageux pour le Royaume-Uni, et le fait que si une partie ne respecte pas les engagements prévus dans un accord, non seulement celui-ci mais tous les accords liés sont caducs (« clause guillotine »), ce qui est bien plus expéditif que les procédures communautaires applicables aux états membres.

 

Cinquième question : Qu’est ce qui pourrait interrompre le processus de sortie ?

Au stade de confusion et d’incertitude où nous en sommes, pourquoi ne pas envisager l’hypothèse à priori inenvisageable, celle d’un renoncement du Royaume-Uni au brexit ? En théorie, sur le plan juridique, tant que les négociations ne sont pas terminées, tout peut être remis en cause. Mais il reste l’aspect politique. On peut penser que la question se pose si de nouvelles élections générales se tiennent au Royaume-Uni et qu’un nouveau gouvernement soit élu sur l’engagement d'une remise en cause de la sortie. Dans ce cas, si l’accord de retrait n’est pas devenu définitif, le processus de sortie pourrait être annulé.

Mais une fois les négociations terminées, le Royaume-Uni sera sorti de l’UE. S’il désire en être membre à nouveau il lui faudra présenter une demande d’adhésion conformément à l’article 49 du traité sur l’Union européenne.

Enfin, une fois le Royaume-Uni sorti, son nouveau statut devra être ratifié par tous les états membres de l’Union européenne. En effet, si l’approbation de l’accord sur la sortie ne nécessite que la majorité qualifiée des pays de l’Union, en revanche l’accord qui définira les nouvelles relations entre le Royaume-Uni et l’Union (si par exemple, un statut spécial pour le Royaume-Uni est défini ou s’il se calque sur le modèle norvégien) devra être approuvé à l’unanimité des états et ensuite ratifié selon les procédures constitutionnelles de ceux-ci. De quoi donner des sueurs froides au gouvernement britannique, aux milieux économiques et aux citoyens qui ne peuvent être sûrs que d’une chose : leur nouvelle situation dans l’Europe communautaire sera certainement beaucoup moins avantageuse que lorsque le Royaume-Uni était membre du club. Que les leaders du brexit en soient remerciés.


08/08/2016

 

 

 

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