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La lutte contre la pénurie de logements justifie une restriction à la libre prestation de services dans l’Union européenne


Dans les grandes villes, le logement est devenu inabordable pour un nombre croissant de personnes. Qu’il s’agisse de trouver une location ou d’acheter un bien immobilier, le ticket d’entrée est de plus en plus élevé. Le phénomène est encore plus marqué dans les capitales européennes. Les centres villes se gentrifient et les logements destinés à l’habitation principale se font rares, les propriétaires qui souhaitent louer préférant la location saisonnière à la location à usage de résidence principale (pour des raisons diverses: en France, par exemple, cela ne s’explique pas seulement par l’appât du gain mais aussi par une législation qui pénalise les bailleurs).

Cette situation a conduit la ville de Paris à réglementer les locations saisonnières en s’appuyant sur les dispositions du code de la construction et de l’habitat dont l’article L. 631-7 dispose que dans les villes de plus de 200 000 habitants et dans celles des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est soumis à autorisation préalable du Maire de la commune. Le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée et pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens de cet article.

En mai 2017 deux sociétés, Cali Apartments et HX, ont maille à partir avec la justice française. Ces sociétés possèdent des studios meublés à Paris qu’elles louent régulièrement et pour de courtes durées à une clientèle de passage, sans pour autant être des professionnels de la location immobilière. Condamnées par la Cour d’appel de Paris à payer des amendes de 5000 et 15000 euros pour avoir enfreint l’article L.631-7, Cali Apartments et HX se pourvoient en cassation en alléguant que les juges d’appel ont méconnu le principe communautaire de libre prestation des services qui doit primer sur une législation nationale contraire.

Mais la Cour de cassation estime qu’elle ne peut se prononcer sur le pourvoi qu’après avoir eu l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur l’interprétation à donner aux dispositions de droit communautaire invoquées par les requérants. Plusieurs questions préjudicielles sont posées à la CJUE. Est-ce que la directive 2006/123 qui régit les conditions de prestation de services dans l’Union européenne (directive du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur) est applicable à une réglementation nationale s’appliquant à une activité telle que celle de Cali Apartments et HX ? Si oui, la réglementation adoptée par la mairie de Paris constitue-t-elle un « régime d’autorisation » au sens de la directive, auquel cas, elle pourrait se justifier par une raison impérieuse d’intérêt général (article 9-1-b de la directive)?  Et la lutte contre la pénurie de logements peut-elle constituer une telle raison impérieuse d’intérêt général ? Si tel est le cas, la réglementation contestée est-elle proportionnée à l’objectif poursuivi ? Enfin, le régime d’autorisation qu’elle prévoit est-il bien conforme aux conditions posées par l’article 10 de la directive qui impose le respect de critères encadrant l'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités compétentes pour éviter qu’il ne soit utilisé de manière arbitraire ?

 

Dans sa décision du 22 septembre 2020, la CJUE juge que la réglementation incriminée est conforme au droit communautaire, et que la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée constitue bien une raison impérieuse d’intérêt général justifiant une telle réglementation (CJUE, 22 septembre 2020, aff.jointes C-724/18 Cali Apartments/Procureur général près la cour d’appel de Paris et ville de Paris et C-727/18 HX/Procureur général près la cour d’appel de Paris et ville de Paris).
 

Plus précisément, La Cour de Justice de l'Union Européenne décide que :

Une activité de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à titre professionnel comme non professionnel relève des dispositions de la directive 2006/123.

Une réglementation nationale qui soumet à autorisation préalable l’exercice de certaines activités de location de locaux destinés à l’habitation relève de la notion de « régime d’autorisation » au sens de la directive.

Dans certaines communes où la tension sur les loyers est particulièrement marquée, une telle réglementation est justifiée par la raison impérieuse d’intérêt général qu’est la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location. Elle est également proportionnée à l’objectif poursuivi, dans la mesure où celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.

Enfin, la Cour examine la conformité des critères d’autorisation prévus par la réglementation nationale aux conditions posées par l’article 10 de la directive.

L’article L.631-7 du code de la construction et de l’habitat donne aux communes françaises la possibilité d’assortir un régime d’autorisation d’un changement d’usage de locaux d’habitation d’une obligation de transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage. La Cour juge que cette dispositions n’est pas, en principe, disproportionnée par rapport au but d’intérêt général poursuivi : « Une telle réglementation est apte à garantir l’adéquation du régime d’autorisation qu’elle institue aux circonstances spécifiques de chacune des communes concernées, dont les autorités locales ont une connaissance privilégiée » (point 82) et « le recours à une telle obligation de compensation qu’autorise ainsi cette réglementation nationale à l’attention des communes soumises à une pression foncière particulière découlant d’une augmentation importante de la surface immobilière dédiée à la location de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage au détriment de la location de locaux d’habitation à long terme à une clientèle y établissant sa résidence constitue, en principe, un instrument adéquat de poursuite des objectifs de mixité sociale de l’habitat sur son territoire, d’offre suffisante de logements et de maintien des loyers à un niveau abordable » (84). C’est au juge national qu’il reviendra de vérifier si cette faculté de compensation « répond effectivement à une pénurie de logements destinés à la location de longue durée, constatée sur les territoires concernés » (87).

Concernant les « exigences de clarté, de non-ambiguïté et d’objectivité » posées par l’article 10, la CJUE les estime remplies à rebours des requérants qui reprochent à la réglementation qu’ils contestent d’être fondée sur une notion « ambigüe et difficilement compréhensible » issue de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, à savoir celle de « location d’un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile » (95). Pour la Cour, « le fait que cette notion ne soit pas définie …notamment, par des seuils chiffrés, ne constitue pas, en soi, un élément de nature à démontrer une méconnaissance des exigences de clarté, de non-ambiguïté et d’objectivité énoncées à l’article 10… » (98). Mais ajoute-t-elle « il importe, aux fins de cette disposition, de vérifier si, à défaut d’indication suffisante dans la réglementation nationale, les autorités locales concernées ont précisé les termes correspondant à la notion en cause d’une manière claire, non ambiguë et objective, de sorte que la compréhension de cette notion ne laisse pas place au doute quant au champ d’application des conditions et des obligations ainsi arrêtées par ces autorités locales et que ces dernières ne puissent pas faire une application arbitraire de cette même notion. » (99). Le fait que la loi se limite à encadrer les modalités de détermination par une autorité locale des conditions d’octroi des autorisations prévues par un régime en renvoyant aux objectifs que cette autorité doit prendre en considération n’est pas davantage de nature à laisser craindre des décisions arbitraires (surtout si la loi fixe non seulement les finalités devant être poursuivies par les autorités locales concernées, mais également les éléments objectifs en fonction desquels ces autorités doivent déterminer ces conditions d’octroi) (102).

 

Les arguments dénonçant l’absence de publicité préalable et de transparence des conditions d’octroi des autorisations, sont également écartés par la Cour. L’affichage en mairie et la mise en ligne sur le site Internet de la commune, des comptes rendus des séances du conseil municipal suffisent à informer tout propriétaire qui envisagerait de se lancer dans des activités de location saisonnière de la réglementation applicable.

 

Dispositif

 

« 1)      Les articles 1er et 2 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, doivent être interprétés en ce sens que cette directive s’applique à une réglementation d’un État membre relative à des activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à titre professionnel comme non professionnel.

2)      L’article 4 de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale qui soumet à autorisation préalable l’exercice de certaines activités de location de locaux destinés à l’habitation relève de la notion de « régime d’autorisation », au sens du point 6 de cet article.

3)      L’article 9, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale qui, pour des motifs visant à garantir une offre suffisante de logements destinés à la location de longue durée à des prix abordables, soumet certaines activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à un régime d’autorisation préalable applicable dans certaines communes où la tension sur les loyers est particulièrement marquée est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et proportionnée à l’objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.

4)      L’article 10, paragraphe 2, de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale instituant un régime qui subordonne à une autorisation préalable l’exercice de certaines activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation, qui est fondée sur des critères tenant au fait de louer le local en cause « de manière répétée et pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile » et qui confie aux autorités locales le pouvoir de préciser, dans le cadre fixé par cette réglementation, les conditions d’octroi des autorisations prévues par ce régime au regard d’objectifs de mixité sociale et en fonction des caractéristiques des marchés locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements, en les assortissant au besoin d’une obligation de compensation sous la forme d’une transformation accessoire et concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage, pour autant que ces conditions d’octroi soient conformes aux exigences fixées par cette disposition et que cette obligation puisse être satisfaite dans des conditions transparentes et accessibles.
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