Information et veille juridique en droit de l'Union européenne

La Commission européenne n'est pas obligée de donner suite à une initiative citoyenne européenne



Pour la première fois, la Cour de Justice de l'Union européenne va devoir se prononcer sur les pouvoirs qui sont ceux de la Commission européenne lorsqu'elle examine et décide les suites à donner à une Initiative citoyenne européenne (ICE).

Pour rappel, l'ICE a été instaurée par le traité de Lisbonne, et figure à l'article 11§4 du traité sur l'Union européenne (TUE) qui dispose : « Des citoyens de l'Union, au nombre d'un million au moins, ressortissants d'un nombre significatif d'États membres, peuvent prendre l'initiative d'inviter la Commission européenne, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application des traités. Les procédures et conditions requises pour la présentation d'une telle initiative sont fixées conformément à l'article 24, premier alinéa, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ».
Avant de pouvoir commencer à collecter le nombre requis de signatures, les organisateurs de l’initiative citoyenne européenne doivent la faire enregistrer auprès de la Commission qui examine en particulier son objet et ses objectifs.

En 2012, M. Patrick Grégor Puppinck et six autres personnes forment le comité des citoyens de l’initiative citoyenne européenne intitulée « Uno di noi » (L’un de nous). Celle-ci est enregistrée auprès de la Commission le 11 mai 2012. Au nom de « la protection juridique de la dignité, du droit à la vie et à l’intégrité de tout être humain depuis la conception », l'ICE a pour objectifs d'interdire et de mettre fin au financement par l'Union des activités qui impliquent la destruction d’embryons humains, en particulier dans les domaines de la recherche, de l’aide au développement et de la santé publique, y compris le financement direct ou indirect de l’avortement. Une fois enregistrée, l'ICE a réuni plus d'un million sept cent mille signatures et a été présentée à la Commission européenne le 28 février 2014.

Le 28 mai 2014, la Commission a adopté une communication dans laquelle elle a annoncé qu’elle n’adopterait aucune proposition allant dans le sens des mesures demandées par l’ICE. Les promoteurs de l'ICE ont alors saisi le Tribunal de l'Union européenne pour obtenir l'annulation de la communication. Le Tribunal a rejeté leur recours, non pas parce qu'il l'a jugé irrecevable mais parce qu'il n'y avait pas de motif d'annulation selon lui. Ce jugement a été contesté devant la Cour de justice de l'Union européenne à qui il est demandé d'annuler l'arrêt ainsi que la communication. 

La Cour ne s'est pas encore prononcée mais les conclusions de l'Avocat général dans lesquelles il propose la solution à donner au litige ont été publiées le 29 juillet 2019 (Conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire C-418/18 PPuppinck e.a./Commission). Ces conclusions ne lient pas la Cour mais il est habituel que les juges suivent les recommandations de l'Avocat général. Elles fournissent donc une indication de ce que sera la décision finale de la Cour dans une affaire qui est la première portant sur le suivi par la Commission d’une ICE ayant atteint le seuil requis de signatures.

A l'appui de leur pourvoi devant la Cour, les requérants présentent plusieurs arguments :

  • le Tribunal a commis une erreur en interprétant l’article 11§ 4 du TUE et  le règlement relatif à l’initiative citoyenne européenne ( Règlement (UE) no 211/2011 du 16 février 2011)
  • son analyse de la communication de la Commission est erronée
  • il a appliqué un contrôle de légalité limité en se bornant à examiner si la Commission n'avait pas commis d'erreur manifeste d'appréciation quand elle a pris sa décision,
  • il a mal apprécié les raisons fournies par la Commission dans la communication
  • il a qualifié à tort l’objectif de l’initiative citoyenne européenne en question.


La Commission européenne est-elle obligée de suivre une Initiative citoyenne européenne ayant recueilli au moins un million de signatures?

Selon les requérants, l'article 11§4 et le règlement imposeraient à la Commission de présenter une proposition de législation pour mettre en œuvre l'ICE qui aurait obtenu le nombre de signatures nécessaires et remplirait les conditions requises.


L'avocat général rejette cette interprétation.

D'une part, le libellé de l'article 11 et du règlement, comme leur genèse (les débats et les travaux préparatoires qui ont conduit à leur rédaction) « indiquent clairement que l’ICE n’a été ni conçue ni rédigée de manière à imposer à la Commission une obligation d’adopter la proposition demandée » (point 42 des conclusions). Bien plus, ajoute l'avocat général, « le contexte systémique et institutionnel dans lequel s’inscrit l’ICE » s'oppose à ce que l'ICE ait un caractère contraignant pour la Commission européenne. Dans le système institutionnel de l'Union européenne le pouvoir de légiférer appartient au Conseil et au Parlement européen, sur proposition, le plus souvent, de la Commission, qui dispose d'un quasi monopole du pouvoir d'initiative législative qu'elle doit exercer en toute indépendance. Si l'argument des requérants était retenu cela signifierait « qu’une ICE soutenue par un groupe de plus d’un million de citoyens obtiendrait un pouvoir d’initiative supérieur à celui du Parlement européen élu démocratiquement au suffrage direct et à celui du Conseil, qui bénéficie d’une légitimité démocratique...» (point 56).  Renforcer ou encourager la participation au sein des structures démocratiques existantes au moyen d'instruments comme l'ICE n’est pas la même chose que contourner ou remplacer ces structures (point 71).

 

Le contrôle de la légalité de la décision de la Commission

Le contrôle juridictionnel de la décision de la Commission porte sur la forme et sur le fond.

Quant à la forme, les requérants font grief à la Commission de ne pas avoir séparé dans sa communication les raisons juridiques de sa décision de celles qui sont de nature politique, alors que, selon eux, le règlement exigerait cette distinction pour plus de clarté. L'avocat général y voit une condition non prévue par les textes. Si la Commission est tenue de présenter d’une manière claire, compréhensible et circonstanciée les raisons qui justifient sa position, elle reste libre de leur organisation dans le texte. L'argument est donc rejeté.

Quant au fond, les requérants soutiennent que le tribunal n'est pas allé aussi loin qu'il était souhaitable dans le contrôle juridictionnel de la décision en se limitant à la recherche d'erreurs manifestes d'appréciation qui pourraient entacher la légalité de l'acte. Bien connue des juristes en droit public français, la notion d'erreur manifeste d'appréciation se rattache au contrôle restreint exercé par une juridiction sur la légalité d'un acte pris dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire impliquant une appréciation politique et/ou d'opportunité. Or, on l'a vu, la Commission européenne est libre de choisir la suite à donner à une ICE ayant réuni le nombre de signatures exigé. Le contrôle de légalité exercé par le juge doit donc respecter cette liberté sans quoi elle n'existe plus. C'est pourquoi il ne peut porter que sur la recherche des erreurs les plus grossières, les plus évidentes. L'avocat général écarte donc le troisième moyen des requérants : « En tout état de cause, étant donné que l’essentiel de la décision de la Commission, contenue dans la communication, de ne pas adopter la proposition demandée par l’ICE repose essentiellement sur une évaluation de nature politique..., et en supposant qu’une telle décision fondamentalement politique soit soumise à un contrôle juridictionnel, je ne vois pas comment cette évaluation pourrait être soumise à un contrôle juridictionnel rigoureux sans enfreindre les limites imposées par le principe d’équilibre institutionnel, notamment entre l’exécutif européen et les juridictions de l’Union. » (point 126).

Enfin, les quatrième et cinquième arguments sont également rejetés.En particulier, les demandeurs soutenaient que l’argument posant la question de savoir si l’embryon humain est un être humain n'avait pas été pris en compte. L'avocat général constate que les mesures législatives proposées dans l'ICE ne comprenaient pas ce point et que logiquement, ni la Commission ni le tribunal ne pouvaient s'y référer.


En résumé

Ni le traité, ni le règlement relatif à l'Initiative citoyenne européenne n'imposent à la Commission européenne de proposer les mesures demandées dans une ICE, même si celle-ci a été signée par au moins un million de personnes et rempli l'ensemble des conditions posées par les textes
La communication par laquelle la Commission européenne décide des suites à donner à une ICE ayant atteint au moins un million de signatures peut faire l'objet d'un recours devant les juridictions de l'UE.
Le contrôle par ces juridictions porte non seulement sur le caractère adéquat de la motivation, mais aussi sur la vérification des fondements sur lesquels s’appuie la décision de la Commission
Le contrôle des raisons pour lesquelles la Commission a pris sa décision ne peut être qu'un contrôle restreint limité à la vérification de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation.



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Comment s'appliquera l'initiative citoyenne européenne ?
L’initiative citoyenne sera opérationnelle à partir de 2012



 

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