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Défense nationale et limitation du temps de travail sont-elles compatibles ? (I)




cour de jusitce de l'union européenne

Une audience de la Cour de justice chambre à cinq juges
Source : Cour de Justice de l’Union Européenne

 

 

Un texte de loi ne peut tout régir dans les moindres détails. Et son application donne lieu à des surprises quand apparaissent des situations auxquelles le législateur n'avait pas pensé. Il en est de même pour les textes législatifs européens.

C'est ainsi que la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail a été invoquée par un militaire en litige avec son ancienne hiérarchie. Et la question se pose : la directive s'applique-t-elle aux forces armées et peut-on voir de militaires invoquer ses dispositions ? Et dans quelles conditions ?

BK effectuait en tant qu'ancien sous-officier de l'armée slovène, une semaine par mois, un service de garde d'installations militaires dans une caserne. Ce service durait 24 heures chaque jour de la semaine, y compris le samedi et le dimanche. Durant cette période, BK devait être joignable et présent en permanence. En cas de venue inopinée de la police militaire, d’un groupe d’inspection ou d’un groupe d’intervention, il devait l’inscrire sur le formulaire d’enregistrement et remplir les missions que lui étaient assignées. Un litige l'avait opposé au ministère de la Défense de la République de Slovénie au sujet de la rémunération pour l’activité de garde. Huit heures par jour de garde avaient été comptabilisés en tant que de temps de travail et rémunérées comme telles. Les heures restantes avaient été considérées comme une période d’astreinte sur le lieu de travail pour lesquelles BK avait reçu une indemnité représentant 20 % du traitement. S'estimant lésé, BK avait saisi la justice pour le paiement des heures d'astreinte comme heures supplémentaires. Il  invoquait la directive 2003/88, qui selon lui, impose la comptabilisation de ces heures comme du temps de travail puisqu'il devait à tout moment être présent à son poste de travail ou dans la caserne, à la disposition de son employeur et éloigné de son lieu de résidence et de sa famille.

Saisie à son tour du litige, la Cour suprême slovène avait décidé de surseoir à statuer pour poser à la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) deux questions préjudicielles. En substance, il est demandé à la CJUE de déterminer si la directive s'applique aux travailleurs qui travaillent dans le domaine de la défense et aux militaires qui effectuent des gardes en temps de paix. La seconde question a trait à la définition des périodes d'astreinte à rémunérer comme temps de travail.

L'avocat général a rendu ses conclusions le 28 janvier 2021 (conclusions de l'avocat général M.Henrik Saugmandsgaard  ØE, affaire C‑742/19, B. K. contre Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo).

Pour répondre à la première question, l'avocat général doit d'abord examiner l'objection avancée par certains états (dont la France) qui soutiennent que les règles aménageant le temps de travail des militaires « traduisent des choix d’organisation militaire, effectués par chaque État membre dans le but d’assurer la défense de son territoire et de ses intérêts essentiels ». Ces mesures seraient donc, selon eux, complètement exclues du droit de l’Union et donc de la directive 2003/88 (point 39). L'avocat général réfute cette argumentation. Certes, l’organisation des forces armées des États membres touche à leur « sécurité nationale » et les Etats sont seuls compétents pour prendre les mesures nécessaires à leur défense. Mais cela ne signifie pas que ces mesures échappent complètement au champ d’application du droit de l’Union. La jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne affirme au contraire que « le seul fait qu’une mesure nationale a été prise aux fins de la protection de la sécurité nationale ne saurait entraîner l’inapplicabilité du droit de l’Union et dispenser les États membres du respect nécessaire de ce droit » (point 42). L'avocat général en conclue que « le droit de l’Union peut s’appliquer à l’aménagement du temps de travail des militaires, même si cette question touche à l’organisation des forces armées et, en cela, à la « sécurité nationale » ainsi qu’aux « fonctions essentielles de l’État »…En revanche, ce droit ne saurait être interprété ou appliqué d’une manière qui compromettrait le bon fonctionnement des forces armées... » (point 48).

La « feuille de route fixée », l'avocat général passe à l'examen des questions posées.

Tout d'abord, il relève que les militaires professionnels font « incontestablement » partie des travailleurs, au sens que la directive 2003/88 donne à ce terme (« la caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu’une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle reçoit une rémunération »). 

Ensuite, il constate que les forces armées relèvent bien des secteurs d’activités couverts par la directive qui couvre tous les secteurs d’activités, privés ou publics, parmi lesquels figurent les « activités de service ». Les forces armées des États fournissent un service public – celui de la défense.

Il reste à savoir si la directive cesse de s'appliquer aux militaires quand ils participent à certaines « activités spécifiques » des forces armées (en application d'une exception prévue par la directive 89/391 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail). Pour les gouvernements slovène, espagnol et français, cette exception permet aux États d’exclure, de manière permanente, tous les militaires de leurs forces armées du champ d’application des deux directives. Mais une fois encore, leur thèse ne convainc pas l'avocat général.

 

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