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Anglophonie ou anglophobie?

 

En juillet , des medias à la recherche de nouvelles susceptibles de faire réagir l'estivant alangui ont provoqué une polémique dont l'Europe a été le centre involontaire. De quoi s'agissait-il ? De l'obligation dans laquelle se seraient trouvés les malheureux consommateurs de devenir anglophones afin de pouvoir lire à l'avenir les étiquettes des produits alimentaires vendus en France. La langue, vecteur et ciment de l'identité nationale, est un sujet sensible. D'où l'intérêt suscité par une nouvelle qui laissait entendre que dorénavant la langue française allait disparaître de certaines étiquettes pour être remplacée par l'anglais.

La nouvelle a donc fait sensation. Mais était-elle exacte ?

 

La polémique

Le 25 juillet 2002, la Commission annonce qu'elle a décidé d'adresser un avis motivé à la France afin de lui demander de se mettre en conformité avec l'arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes sur l'emploi des langues pour l'étiquetage des produits alimentaires. La loi française (loi Toubon) qui impose l'obligation d'utiliser la langue française pour "la désignation, l'offre, la présentation, la publicité écrite ou parlée et les modes d'emploi d'un article ou d'un produit" a été jugée contraire à la directive 79-112 (1) par la Cour. L'affaire est importante car un avis motivé peut être suivi, s'il reste sans effet, d'un recours devant la Cour européenne pouvant conduire à une condamnation de l'état défaillant.

Le 29 juillet, un communiqué du Secrétaire d'Etat à la Consommation, annonce qu'un décret est en voie d'adoption afin de mettre la législation française en conformité avec les règles communautaires.

Entretemps et pendant plusieurs jours, l'attitude de Bruxelles est fustigée au nom de la défense de la langue française.

La prise de position de Dominique Noguez dans les colonnes du Monde est exemplaire de ce que certains qualifieront de " parano " , une fois le soufflé retombé. Après avoir dénoncé le " parti anglophone ", D.Noguez écrit : " Ainsi, une nouvelle fois, la Commission de Bruxelles vient de proclamer qu'il y a quelque chose de plus fort que la loi Toubon… de plus fort que la Constitution de la République française (qui stipule, en son article 2, que "la langue de la République est le français"), de plus fort qu'une langue qui a mille ans d'histoire et quatre siècles et demi d'emploi officiel, et c'est... la circulation des marchandises à travers l'Union européenne ! ". Il continue en ces termes " On ne craint plus désormais de plonger les consommateurs dans des perplexités infinies au moment de l'achat, et même, faute de mode d'emploi compréhensible, de mettre leur vie en danger au moment de l'utilisation et du dosage des produits ", avant de prophétiser : " …cette affaire d'étiquetage n'est qu'un galop d'essai. Si personne ne bronche, d'autres suivront, beaucoup plus rudes. Par exemple : pourra-t-on encore longtemps enseigner en français en France (et en italien en Italie, en danois au Danemark, en grec en Grèce) ? La Commission ne tardera pas à soutenir que c'est empêcher l'accès de nos écoles, lycées et universités aux Flamands, Hollandais, Anglais et autres francophiles, qui seraient susceptibles de vouloir y faire leurs classes et qui comprennent, par contre, cette langue si "easy" que la Commission et Romano Prodi sont en train d'imposer discrètement (par exemple dans les négociations avec les pays de l'Est) comme unique langue de communication européenne "(3). De son côté, l'ancien Ministre et promoteur de la loi contestée, Jacques Toubon, monte au créneau et appelle à "refuser fermement de modifier la législation nationale" (4).

Sur les ondes, les émissions ouvertes aux auditeurs relaient la polémique. Il reste une question : tout ce tapage est-il justifié ?

 

Beaucoup de bruit pour rien ?

La Commission sous la pression du " parti anglophone " et avec la complicité de la Cour de justice a-t-elle vraiment voulu marginaliser le français ? Il est vrai que nombreux sont ceux qui à Bruxelles militent pour assurer la suprématie de l'anglais. Il serait angélique d'ignorer cette réalité qui explique certainement en partie l'audience de la polémique sur l'étiquetage. Mais force est de constater qu'en l'occurrence, elle reposait sur des rumeurs et des interprétations erronées.

L'arrêt de la Cour à l'origine de l'affaire est un arrêt du 12/09/2000 (5) dans lequel elle juge que " les articles 30 du traité et 14 de la directive 79/112 s'opposent à ce qu'une réglementation nationale impose l'utilisation d'une langue déterminée pour l'étiquetage des denrées alimentaires, sans retenir la possibilité qu'une autre langue facilement comprise par les acheteurs soit utilisée ou que l'information de l'acheteur soit assurée par d'autres mesures ". Au vu des circonstances de l'espèce, la langue " facilement comprise " était l'anglais, ce qui pouvait être effectivement choquant, puisque la formulation semblait accorder à cette langue une supériorité (voir le commentaire sur ce site : Libre circulation des marchandises - Dénomination et étiquetage ). D'où une difficulté d'application par les autorités françaises et cela bien que la rédaction de l'article 16 de la directive 2000/13 adoptée le 20/03/2000 en remplacement de la directive 79/112 soit pourtant de nature à dissiper le malentendu (6).

Un communiqué de presse du Secrétaire d'Etat à la consommation , Renaud Dutreil, se charge d'expliquer les données juridiques du problème en précisant que ce qui est reproché à la législation française n'est pas le fait d'imposer le français comme langue devant figurer sur l'étiquette d'un produit alimentaire, mais de le faire sans prévoir la possibilité d'ajouter un étiquetage en une ou plusieurs autres langues. Le décret publié le 2 août comble cette lacune (7) . Ainsi que le précise le communiqué de présentation : " en garantissant dans tous les cas l'utilisation de la langue française, ce texte répond à l'impératif d'information et de protection du consommateur qui ne peut être mieux servis en France que par la langue française, et est bien entendu compatible avec la Loi Toubon sur la défense de la langue française ".

Ces explications n'ont pas empêché la controverse d'avoir lieu.

Dommage que l'Europe, souvent absente des débats nationaux, n'y trouve sa place que pour jouer un rôle ingrat dans une mauvaise " comédie des erreurs ".
 



1 - La directive 79-112 du 18 /09 /1978 relative au rapprochement des législations des états membres concernant l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires , était le texte applicable au moment des faits portés devant la Cour. Elle a été remplacée par la directive 2000/13 du 20/03/2000 (JOCE L109 du 06 /05/2000)
2 - Julie Majerczak : " Parano française face aux corn flakes- Un malentendu sur l'étiquetage en anglais provoque un tollé hexagonal ", Libération 20 août 2002
3 - Dominique Noguez : " Une langue si "easy" ", Le Monde du 07/08/2002
4 - Cité par Laurent Mauriac : " Jacques Toubon, l'anti-crumble ,L'ancien ministre bataille pour l'étiquetage français ",Libération 10 août 2002
5 - CJCE ,aff.C-366/98,Yannick Geffroy et Casino France SNC (bull.23/2000)
6 - Article 16 de la directive 2000/13: " 1.Les États membres veillent à interdire sur leur territoire le commerce des denrées alimentaires pour lesquelles les mentions prévues à l'article 3 et à l'article 4,paragraphe 2,ne figurent pas dans une langue facilement comprise par le consommateur,sauf si l'informa- tion du consommateur est effectivement assurée par d'autres mesures, qui sont déterminées selon la procédure prévue à l'article 20,para- graphe 2,pour une ou plusieurs mentions d'étiquetage.
2.L'État membre où le produit est commercialisé peut,dans le respect des règles du traité,imposer sur son territoire que ces mentions d'étiquetage figurent au moins dans une ou plusieurs langues qu'il détermine parmi les langues officielles de la Communauté.
3.Les paragraphes 1 et 2 ne s'opposent pas à ce que les mentions d'étiquetage figurent en plusieurs langues. "
7 - Décret 2002-1025 du 01/08/2002,modifiant les dispositions du code de la consommation relatives à l'étiquetage des denrées alimentaires (JORF du 02/08/2002)

 

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