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Nouveaux aliments dans les assiettes en toute opacité

 

Le 29/03/2011, le Parlement européen annonce dans un communiqué de presse au ton virulent l’échec des négociations avec le Conseil sur la modification de la législation communautaire qui « encadre » la commercialisation des nouveaux aliments. En raison de l’opposition des états, ces aliments pourront continuer à être commercialisés dans l’Union européenne sans que les consommateurs le sachent, ce qui pose problème ou au moins suscite des questions quant à  la sécurité alimentaire.

 

Que sont les nouveaux aliments ?

Aux termes de la réglementation communautaire actuelle qui date de 1997(1), il s’agit tout d’abord d’aliments issus de nouveaux procédés technologiques (à l’exception des aliments génétiquement modifiés qui sont, eux, soumis à une législation distincte).

On peut citer par exemple les aliments créés par l’industrie agroalimentaire (comme les aliments aux phytostérols  sensés réduire le cholestérol). Mais on peut citer aussi des aliments issus de procédés plus récents comme le clonage (viande ou produits d’animaux clonés) qui ne sont pas pris en compte dans le règlement de 1997. Certains pays comme les Etats-Unis et l’Argentine pratiquent déjà le clonage à des fins alimentaires Selon la  Food and Drug Administration (agence nord américaine de surveillance des aliments et des médicaments), et l'Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA), la technique ne présenterait aucun danger sanitaire  pour les consommateurs, mais elle provoque beaucoup de souffrances pour les animaux, car les clones sont sujets à une mortalité importante en  raison de malformations, de problèmes respiratoires et de surpoids. Certains, comme José Bové  estiment que « ces technologies entraineront une perte de la diversité génétique animale, une fragilisation sanitaire des troupeaux, donc un recours plus important aux antibiotiques utilisés à titre préventif. Elles accélèrent également  l'extension des brevets donc de la privatisation du vivant » (2). Un sondage eurobaromètre réalisé à l’initiative de la Commission européenne et publié en octobre 2008 (3) révèle, par ailleurs, que les citoyens européens ont une opinion négative sur le clonage animal pour produire des aliments à fin d’alimentation : 81 % d'entre eux estiment que les effets à long terme du clonage animal sur la nature sont inconnus et 84 % pensent que l'on manque de recul pour juger des effets à long terme de l'utilisation d'animaux clonés dans l'alimentation sur la santé et la sécurité. 58 % des sondés estiment que le clonage animal est toujours injustifiable en vue de la production d'aliments.

L’ utilisation des  nanotechnologies  dans le secteur alimentaire est encore plus récente. Les nano-ingrédients permettent un certain nombre d'applications, par exemple comme agents antibactériens, ou comme modificateurs de saveur ou de couleur.

La définition des nouveaux aliments englobe également des aliments naturels exotiques, c’est-à-dire bien connus dans des pays tiers mais peu consommés ou récemment consommés dans l’Union européenne.

 

La proposition de réviser la législation communautaire actuelle

En vertu du règlement 258/97, l’innocuité pour la santé et pour l’environnement de ces produits doit être démontrée avant leur commercialisation, grâce à un examen par les autorités sanitaires nationales et communautaire, par l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (AESA). En pratique, les procédures peuvent être longues et les désaccords entre les différentes autorités, nombreux.

La proposition présentée a pour but de simplifier la procédure de mise sur le marché pour les aliments naturels peu connus dans l’Union européenne mais qui sont  consommés ailleurs (comme le jus de noni). Elle précise la définition d'un nouvel aliment, en tenant compte des nouvelles technologies qui ont un effet sur les denrées alimentaires, et élargit ainsi le champ d'application du règlement.

Elle a également pour objectif de centraliser la procédure : seuls les nouveaux produits alimentaires inclus sur une liste communautaire (après l'évaluation de l’AESA) pourront être mis sur le marché.

 

La fronde du Parlement européen

Le  champ d’application de la proposition pose problème au Parlement européen  dans la mesure où il englobe des aliments issus de nouvelles techniques (clonage ou nanotechnologies) ce qui permettrait que ceux-ci puissent être soumis à la procédure prévue et donc, éventuellement, autorisés.

Dans sa Résolution du 07/07/2010 (4), le Parlement européen prend une position hostile à l’autorisation même éventuelle des produits alimentaires issus de technologies nouvelles et amende de façon importante le texte qui avait été approuvé par le Conseil. Par exemple, le Parlement européen a ajouté un amendement 5 demandant l’interdiction des aliments produits par clonage, et donc, leur exclusion du champ d’application de règlement projeté, interdiction qui s’applique non seulement à la commercialisation mais en amont à la production (5): « Dans sa résolution du 3 septembre 2008 sur le clonage d'animaux à des fins de production alimentaire 1 , le Parlement européen a invité la Commission, à présenter des propositions interdisant les pratiques suivantes à des fins alimentaires: i) le clonage d'animaux, ii) l'élevage d'animaux clonés ou de leur progéniture, iii) la mise sur le marché de viande ou de produits laitiers issus d'animaux clonés ou de leur progéniture, et iv) l'importation d'animaux clonés, de leur progéniture, de sperme et d'embryons d'animaux clonés ou de leur progéniture, ainsi que de viande et de produits laitiers issus d'animaux clonés ou de leur progéniture ». La production d'animaux clonés étant coûteuse, son intérêt réside en effet plutôt dans la reproduction que dans la production de viande. D’où l’insistance des députés pour demander l’interdiction,  non seulement l’interdiction des produits alimentaires provenant d’animaux clonés mais aussi celle d’aliments provenant de leur progéniture.

Sur les aliments produits au moyen de nanotechnologies le Parlement a amendé le texte pour qu’ils ne puissent pas être inscrits sur la liste des aliments autorisés aussi longtemps que l'utilisation de méthodes spécifiques d’évaluation des risques n'aura  pas été approuvée et qu'une évaluation adéquate de l'innocuité sur la base de ces méthodes n'aura pas prouvé que l'utilisation des aliments en question est sûre (amendement 120). La nécessité d’appliquer le principe de précaution est d’ailleurs rappelée dans l’amendement 69 : « En cas de doute, dû, par exemple, à une certitude scientifique insuffisante ou à un manque d'informations, le principe de précaution s'applique et la denrée alimentaire en question n'est pas inscrite sur la liste de l'Union ».

De manière plus générale, les députés ont ajouté une série de nouvelles conditions « pour éviter que des conséquences défavorables inattendues n'apparaissent à la suite de l'utilisation d'un nouvel aliment ».

 

Le rejet du texte

Les amendements du Parlement européen ont été rejetés par le Conseil. Une procédure de conciliation a donc été ouverte pour tenter de sauver le texte (6). Peine perdue ! Les discussions entre les deux branches du législatif communautaire ont tourné au dialogue de sourds chacun se rejetant la responsabilité de l’échec de la négociation.

Les eurodéputés fustigent l’attitude des états qui refusent obstinément l’étiquetage des produits dérivés de clonage afin d’informer les consommateurs. Dans un communiqué le Parlement rappelle qu’il avait fait un compromis significatif puisque, après avoir appelé  « à une écrasante majorité » à une interdiction des aliments issus d'animaux clonés et de leurs descendants, il avait accepté de renoncer à demander cette interdiction à condition que tous les produits alimentaires issus de la progéniture clonée  soient étiquetés de manière à ce que les consommateurs sachent à quoi s’en tenir et décident en connaissance de cause d’acheter ou non le produit alimentaire.  L'engagement d'étiqueter représentait « un strict minimum » sur lequel les négociateurs parlementaires au comité de conciliation n’ont pas voulu transiger afin de ne pas « trahir le droit des consommateurs de savoir si les aliments proviennent d'élevage d'animaux clonés » (7).

Le Conseil de son côté refusait l’interdiction et même l’étiquetage au motif que les règles demandées par le Parlement auraient provoqué un différend commercial et que d’autre part, « il ne tient pas à induire le consommateur en erreur en adoptant des règles qui ne peuvent être appliquées » (8). Le premier argument fait référence aux engagements commerciaux souscrits dans le cadre de l’OMC, les états craignant (ou faisant mine de craindre) que les mesures proposées par le Parlement ne soient interprétées comme des restrictions injustifiées aux échanges commerciaux par les états qui comme l’Argentine et les Etats-Unis pratiquent le clonage à des fins alimentaires et ne conduisent à de nouvelles procédures devant l’OMC. Le second argument est que la demande d'étiquetage obligatoire pour les denrées alimentaires produites à partir de descendants d'animaux clonés, n’est pas réalisable d’un point de vue technique et très onéreuse.  Selon les états, l’exigence du Parlement européen aurait entraîné des surcoûts importants pour les éleveurs et l'industrie obligés en pratique « à dresser un arbre généalogique pour chaque tranche de fromage ou de salami » selon la formule de la Présidence hongroise.  De fait, à la lecture des communiqués on voit bien que le désaccord ne portait pas sur la viande ou le lait d’animaux clonés, pour lesquels la Commission et le Conseil proposaient un moratoire de cinq ans sur la production et l'importation de clones à des fins alimentaires. Mais sur les descendants des clones (la progéniture).

Le Conseil a de plus mis son veto à de nouveaux ajouts  à la liste des nouveaux aliments.

 

Quelles conséquences ?

Pour le moment, dans l’attente d’une nouvelle proposition de la Commission, le règlement de 1997 continue de s’appliquer. S’agissant des aliments issus du clonage, il prévoit une procédure d’ autorisation pour la vente de denrées alimentaires provenant d'animaux clonés. Aucune demande n’a encore été présentée (8). En revanche, aucune procédure d’autorisation n’est prévue pour la progéniture et la descendance d’animaux clonés. Il ya donc un vide juridique qui permet leur commercialisation. A cela s’ajoute le fait qu’en l’absence d’étiquetage, une partie des aliments importés des Etats-Unis et d’Argentine peuvent être issus de progéniture d’animaux clonés, sans que nous le sachions.

Quant aux « nanomatériaux »  dans l'alimentation, c’est bien simple : ils continueront à ne faire l’objet d’aucunes mesures.

 

Article lié :

Le Parlement européen contre la "malbouffe"

12/04/2011

 


1 - Règlement (CE) n° 258/97 du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires

2 – « Nouveaux aliments: Le Parlement européen reste aux côtés de la majorité des citoyens qui ne veut pas consommer de viande clonée », communiqué du 17/03/2011  

3 - Europeans’ attitudes towards animal cloning Analytical Report

4 - Résolution législative du Parlement européen du 7 juillet 2010 relative à la position du Conseil en première lecture en vue de l'adoption du règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les nouveaux aliments, modifiant le règlement (CE) n° 1331/2008 et abrogeant le règlement (CE) n° 258/97 et le règlement de la Commission (CE) n° 1852/2001

5 – Et refusé à ce titre par la Commission qui a estimé que l’interdiction de la production n’entrait pas dans le champ d’application du règlement mais devait faire, éventuellement l’objet d’un autre texte : « La Commission estime que le règlement relatif aux nouveaux aliments n’est pas le cadre légal qui convient pour réglementer de façon générale la pratique du clonage aux fins de la production d’aliments. La production et la mise sur le marché de produits autres que des denrées alimentaires (matériel reproductif), en particulier, ne peuvent être régies par le règlement relatif aux nouveaux aliments, qui porte exclusivement sur l’autorisation de produits alimentaires avant leur mise sur le marché ». Commission: avis sur la position du PE en deuxième lecture, 11/10/2010 COD/2008/0002

6 - Voir la procédure de codécision

7 - Nouveaux aliments : les discussions échouent face au refus du Conseil d'étiqueter les produits dérivés du clonage, communiqué de presse du 29/03/2011

8 - Échec de la conciliation sur les nouveaux aliments, communiqué de presse du 29 mars 2011

 

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