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Le Parlement européen examine l'ACTA

 

Le 1er mars 2012, la Commission du commerce international du Parlement européen débattait  de l'Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA selon le sigle en anglais ou ACAC selon le sigle en français)) et organisait, à partir de 15h00 un séminaire sur ce projet de traité afin de discuter de ses avantages et de ses inconvénients avec des universitaires, des représentants de la société civile et des fonctionnaires de l'Union européenne.


L'ACTA est très controversé et donne lieu à un débat d'autant plus compliqué que le texte a fait l'objet de plusieurs versions et que, dans l'échange d'arguments entre les défenseurs et les adversaires de l'ACTA, aussi bien les critiques, que les arguments favorables peuvent se rapporter à des versions qui n'ont plus cours.
 

Un débat complexe

L'ACTA a pour objectif selon ses promoteurs de lutter contre la contrefaçon et le piratage d'oeuvres ou de biens, en encourageant la coopération et la surveillance entre les états qui signeront le traité. A priori, l'idée est bonne puisqu'il s'agit de faire coopérer pays développés et émergents pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle qui protègent les droits des auteurs d'une oeuvre ou d'une invention et combattre le fléau qu'est la contrefaçon non seulement en termes économiques (en 2005, l'OCDE estimait que  le commerce international des produits issus de la contrefaçon ou du piratage s'élevait à 200 milliards de dollars, produits numériques non compris) mais aussi en termes de santé par exemple (contrefaçon de médicaments) (1).

Pour les détracteurs de l'ACTA, il s'agit d'un accord liberticide qui criminalise le partage culturel et matériel (2). Ils dénoncent différentes dispositions, comme l'obligation faite aux fournisseurs d'accès à internet et aux hébergeurs de sites de coopérer à la lutte contre la contrefaçon et le piratage (filtrage, blocage du service), et la possibilité, résultant de l'ambiguïté du texte, d'incriminer directement les  particuliers (selon quelles procédures? quelles protection des données personnelles?), un débat qui rappelle celui qu'a suscité la création de l'HADOPI en France (3).
 

Ces attaques sont jugées infondées par d'autres commentateurs qui font remarquer que les dispositions qu'elles concernent ont disparu dans la version actuelle (4).

La possibilité d'imposer des sanctions très sévères - allant jusqu'à des peines de prison - à des particuliers coupables d'atteinte aux droits de propriété intellectuelle est également dénoncée. Car aucune différence ne serait faite, nous explique-t-on, entre un particulier qui a téléchargé une chanson pour son usage personnel et un autre qui voudrait tirer profit d'activités de contrefaçon à grande échelle (5).  Mais il faudrait alors également dénoncer la loi française sur la propriété intellectuelle... (6). Quoiqu'il en soit, l'ACTA prévoit de réprimer des atteintes aux droits de propriété intellectuelle  (téléchargement par exemple) commis à une échelle commerciale (article 23 de l'ACTA), un concept plutôt flou auquel beaucoup préfèreraient que soit
substitué celui, plus clair, de "but commercial".

Quant à  l'"arsenal répressif étendu et dangereux" qu'introduirait l'ACTA, il est loin d'être jugé si menaçant par Olivier Vrins, juriste au cabinet ALTIUS Lawyer qui dit ne pas voir de risque majeur pour les droits fondamentaux dans l'accord (7).

D'autres critiques à l'ACTA sont qu'une interprétation stricte du texte conduira à interdire la commercialisation des médicaments génériques, qui pourraient être considérés comme des produits contrefaits. L'argument ne convainct pas le professeur Meir Pugatch, de l'université d'Haïfa, qui a participé au séminaire organisé par la commission du commerce international du Parlement européen le 01/ 03, car des mesures protégeant l'utilisation des médicaments génériques existent déjà. L'ACTA ne change rien à cette situation et les pays en voie de développement pourraient toujours continuer à acheter des médicaments génériques comme ils le font déjà. En revanche, il faut traiter le problème des médicaments contrefaits et de mauvaise qualité, qui sont des dangers potentiels pour la santé surtout dans les populations les plus pauvres, ont souligné plusieurs participants au séminaire. Les eurodéputés, pour leur part, demandent plus de clarté. Comme le résume le rapporteur pour l'ACTA, David Martin « Nous ne savons pas comment les agences de contrôle aux frontières définiront les médicaments contrefaits par opposition aux médicaments génériques (...). L'expression anglaise dit que le diable se cache dans les détails. Avec ACTA, c'est l'inverse : le diable se cache dans le manque de détails ».
 

En effet, là semble résider le problème principal d'ACTA, ce qui inquiète ses détracteurs: le manque de clarté et de précision de nombreuses dispositions qui ouvrent la porte à toutes les interprétations. Or, une des caractéristiques de la règle de droit en régime démocratique est qu'elle doit être claire et compréhensible de ceux à qui elle s'applique.
 

 

Un débat public

Face à la contestation, divers états hésitent.

Pour leur part, les institutions européennes essaient de désamorcer la fronde des oppposants et jouent la transparence (le secret des négociations avait été une des critiques faites à l'ACTA). La Commission européenne a décidé, le 22/02/2012, de demander à la Cour de justice de l'Union européenne de se prononcer sur la compatibilité de l'ACTA avec le droit européen, et plus particulièrement  avec les libertés et les droits fondamentaux qui figurent dans le traité de l'UE.
 

En attendant l'avis de la Cour de justice, le Parlement européen, pour sa part a commencé à examiner le texte, au sein de sa commission internationale, et ces travaux sont retransmis sur internet.
 

En effet, conformément aux nouveaux pouvoirs qui sont les sienns en vertu du traité de Lisbonne (articles articles 207 et 208 du traité de fonctionnement de l'UE), le Parlement européen doit donner son accord pour que l'ACTA entre en vigueur. Si le Parlement l'approuve, le Conseil (les états) doit aussi le voter. Mais il faudra encore que le texte soit ratifié dans tous les états pour qu'il soit applicable. Si le Parlement ne donne pas son consentement, l'ensemble de l'Union européenne reste en dehors de l'accord. Le Parlement peut aussi user d'un procédé dilatoire et ne pas se prononcer, puisque, comme il le rappelle, aucun délai n'est établi pour donner sa réponse, ce qui bloquerait l'accord.

Il est vrai qu'il a du pain sur la planche. Car une pétition signée par plus de 2,4 millions de personnes a été déposée le 28/02/2012 pour demander au Parlement de rejeter l'accord (8).

 

En savoir plus:

Texte  de l'ACTA

Pour suivre le séminaire de travail sur l'ACTA organisé par la Commission internationale du Parlement européen le 01/03/2012:

INTA - Policy Department Expo 15:00/18:30 Workshop on the Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA)

Ou:

Workshop on the Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA) - 1 March - 15:00

 

05-03-2012

 

1 – Il faut remarquer que la Chine, l'Inde, et de nombreux pays du Maghreb, n'ont pas signé l'ACTA, ce qui limite l'efficacité d'un texte destiné à lutter contre la contrefaçon

2 – Pour reprendre les termes d'un communiqué d'attac du 11-02-12 : "Non à l’ACTA! Non à la criminalisation du partage"

Voir aussi les arguments de la Quadrature du net sur le site dédié à l'ACTA qui contient cependant des erreurs. Par exemple, un article "ACTA: Mise-à-jour de l'analyse de la version finale" dénonce la mise en place du Comité ACTA qui serait autorisé à modifier l'accord après sa ratification, "en contournant durablement la démocratie". Ce qui est faux: l'article 42 de l'accord précise que si le Comité peut décider de présenter une proposition d'amendement à l'accord, cet amendement n'entrera en vigueur qu'après ratification selon les procédures constitutionnelles respectives des différents pays (en France: Président de la République en vertu de l'article 52 de la Constitution, ou Parlement pour la plupart des traités ou accords, en vertu de l'article 53).
 

3 – Voir notamment sur ce site les articles: HADOPI contre amendement 46, la suite et HADOPI censurée

4 – Etude effectué à la demande de la Commission du commerce international du Parlement européen: "THE ANTI-COUNTERFEITING
TRADE AGREEMENT ( ACTA): AN ASSESSMENT",  juin 2011

5 - Guillaume Ledit: "Il y a là un problème, Acta va trop loin", entretien avec Kader Arif, eurodéputé et rapporteur démissionnaire du traité au Parlement européen, 28/02/2012, owni.fr

6 - L'article L. 122-4. du code de la propriété intellectuelle dispose: "Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la
reproduction par un art ou un procédé quelconque"  et l'article L335-2 précise: "Toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une
contrefaçon et toute contrefaçon est un délit. La contrefaçon en France d'ouvrages publiés en France ou à l'étranger est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende".

7 – Séminaire de travail organisé par la Commission du commerce international du Parlement européen le 01/03/2012

8 – Parlement européen, communiqué de presse du  27/02/2012: "2,4 millions de signatures contre ACTA"

 

Les PLus

 

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  • Conclusions des avocats généraux

 

 

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