Information et veille juridique en droit de l'Union européenne

Amer chocolat !Défense de la tradition et de la libre circulation ne font pas bon ménage dans l'Union Européenne

 

Le club des croqueurs de chocolat (1) s'en désole : désormais il sera possible de trouver à la vente en France, comme dans tous les états de l'Union Européenne, des produits vendus sous la dénomination " chocolat " alors qu'ils contiennent des matières grasses végétales. La directive 2000/36 relative aux produits de cacao et de chocolat destinés à l'alimentation humaine est en effet en application depuis le 3/08/2003 dans toute l'Union européenne(2).
 

Des années de négociations

Une " guerre " du chocolat a bien eu lieu dans les couloirs feutrés du Conseil des ministres de l'Union Européenne entre partisans et adversaires d'une révision de la directive 73/241 du 24 juillet 1973.

Cette dernière a été adoptée dans le cadre du droit communautaire alimentaire afin d'établir des règles communes pour la composition, les caractéristiques de fabrication, le conditionnement et l'étiquetage des produits de cacao et de chocolat (3). Lors des discussions de la directive, la possibilité d'une adjonction de matières grasses végétales (MGV) autres que celles contenues naturellement dans le cacao n'avait pas pu faire l'objet d'une entente entre les neuf états qui composaient alors la Communauté européenne . Ce qui posait déja problème , ce n'était pas l'autorisation des MGV dans l'alimentation ( puisqu'elles sont couramment utilisées dans de nombreux produits alimentaires), mais l'usage de la dénomination chocolat et l'image qui lui est associée .En France, par exemple, la dénomination chocolat désigne un mélange de base constitué de cacao (fèves de cacao torréfiées) et de sucre. Le beurre de cacao présent dans le cacao est la seule matière végétale admise. Mais il existe d'autres matières grasses végétales qui peuvent le remplacer , à moindre coût. Certains pays admettaient que le " chocolat " puisse contenir des MGV autres ( Danemark, Royaume Uni et Irlande) , d'autres refusaient qu'un tel ajout soit possible, considérant qu'il dénaturait le produit . Faute d'accord, la directive de 1973 laissait subsister les normes nationales sur cette question.

Mais l'arrivée de nouveaux états a modifié la donne : dans l'Union Européenne actuelle , sept pays sur 15 utilisent des MGV (aux trois précédents s'ajoutent le Portugal, l'Autriche, la Suède et la Finlande). Le contexte était donc propice à une révision de la directive de 1973.

Relancées en 1996, les négociations se sont conclues par la victoire des " pro MGV ". Ceux-ci ont su habilement argumenter, en invoquant la libre circulation des marchandises et en faisant valoir que le maintien de normes différentes créait des obstacles aux échanges, cloisonnant le marché du chocolat dans l'Union Européenne. Face à ces arguments, les plaidoyers en faveur du respect de la tradition et de la qualité ont pesé de peu de poids, peut-être aussi, semble-t-il, parce que les " anti MGV " étaient moins déterminés (4). De même les intérêts des producteurs de cacao ont été relégués au second plan. Pourtant ils font l'objet de mesures spécifiques d'aide au développement dans le cadre des accords ACP conclu avec certains d'entre eux par l'Union Européenne (5).
 

Le chocolat nouveau est arrivé

La directive 2000 / 36 abroge la directive de 1973. Elle concerne les produits de chocolat et de cacao, ce qui recouvre le beurre de cacao , le cacao et le chocolat en poudre, y compris maigres ou dégraissés, le chocolat, le chocolat au lait -y compris de ménage-, le chocolat blanc, le chocolat fourré, les "chocolate a la taza" et le bonbon de chocolat ou praline. Elle établit les règles de composition applicables à ces différents produits et autorise l'adjonction de matières grasses végétales autres que le beurre de cacao dans la limite d'un pourcentage fixé à 5% du produit fini. Les MGV autorisées sont celles énumérées à l'annexe II de la directive : illipé, huile de palme, sal, karité, kokum gurki, noyaux de mangue et huile de coprah ( pour cette dernière, à condition que les États membres en autorisent l'utilisation dans le chocolat utilisé pour fabriquer des glaces et des produits similaires).

L'information du consommateur doit être assurée par un étiquetage qui réserve aux seuls produits conformes à la directive un certain nombre de dénominations de vente (6).Concession faite aux tenants du chocolat traditionnel, la directive prévoit également que les dénominations de vente "chocolat", "chocolat au lait" et "chocolat de couverture" peuvent être complétées, dans certains cas, par des qualificatifs se rapportant aux critères de qualité du produit (teneurs plus élevées en cacao et en lait).

La présence de MGV autres doit être mentionnée de façon à attirer l'attention et à être clairement lisible. Concrètement, l'indication "contient des matières grasses végétales en plus du beurre de cacao" doit figurer dans le même champ visuel que la liste des ingrédients, de manière bien distincte par rapport à cette liste et en caractères gras au moins aussi grands, près de la dénomination de vente.

Enfin, maigre consolation pour les pays producteurs de cacao, la directive prévoit une évaluation des conséquences de l'application des nouvelles dispositions sur ces pays . La Commission devra présenter une étude début février 2006 et si nécessaire, une proposition modifiant la liste des MGV autres autorisées.
 

Appréciations

La nouvelle réglementation communautaire du chocolat fait à l'évidence le bonheur des multinationales du secteur pour lesquelles son adoption a été une victoire.

En revanche, elle est critiquée par différents groupes d'intérêts, artisans chocolatiers, associations pour le commerce équitable, et…amateurs de chocolat traditionnel.

S'agissant des producteurs de cacao, l'entrée en application de la directive se traduirait par un manque à gagner de 780 millions de dollars américains selon l'ICCO (organisation internationale du cacao rassemblant les pays producteurs) à l'horizon 2005-2006. Soit une baisse de la production mondiale de 50 000 tonnes et une baisse des prix de 8% (7). Pour autant, tous les pays ACP ne se trouvent pas dans la même situation : si la Cote d'Ivoire, principal producteur de cacao est durement touchée, un pays comme le Mali voit s'ouvrir de nouveaux débouchés pour sa production de beurre de karité (8).

Pour le mouvement du commerce équitable, cependant, cet espoir n'est qu'un leurre. La position du Mouvement ,telle qu'elle est formulée dans un texte publié en janvier 1997 au moment de la discussion de la proposition de directive, est claire: "La proposition actuelle de directive aura des conséquences considérables pour de nombreux acteurs, tant dans les pays du Sud qu'en Europe. Les producteurs et les pays producteurs de cacao, surtout en Afrique de l'Ouest (Côte d'Ivoire, Ghana, Nigeria et Cameroun), seront parmi les plus touchés. Mais le débat a également des implications pour les pays exportateurs de karité, tout particulièrement le Burkina Faso et le Mali. En outre, il y a lieu de s'inquiéter des répercussions écologiques et sociales dans le Sud. Au sein de l'UE elle-même, la directive touchera directement les droits des consommateurs, l'industrie laitière, l'industrie du cacao, l'emploi dans ces secteurs et dans d'autres, ainsi que les contribuables européens. La présente étude conclut que la mesure n'est pas nécessaire au développement de l'industrie du chocolat, et que celle-ci ne serait nullement menacée si l'UE harmonisait les législations nationales en interdisant les graisses végétales " (9).

Enfin,les organisations de consommateurs font valoir, quant à elles, qu'il sera difficile voire impossible de d'identifier et de mesurer la proportion de MGV autres que le beurre de cacao dans le chocolat, et donc de s'assurer du respect des prescriptions de la directive. Celle-ci reste d'ailleurs muette sur les modalités de ce contrôle. Selon les observateurs, il n'y a pas en fait de méthode fiable permettant de déterminer la quantité précise de MGV ajoutée au chocolat. Quelle garantie existe-t-il alors que la proportion de 5% ne soit pas dépassée ? Les organisations de consommateurs réfutent également l'argument de l'industrie selon lequel les nouvelles règles permettront une plus grande diversité et un plus grande qualité des produits . Enfin , à l'étiquetage retenu elles auraient préféré la mention de la présence de MGV autres sur la face de l'emballage et non au dos où se trouve habituellement la liste des ingrédients.

La directive " chocolat " est exemplaire d'un des dangers qui guettent la construction européenne, celui de se réduire à un grand marché unique construit en nivelant par le bas la qualité des produits. Au citoyen et au consommateur d'être vigilent.
 

Aout 2003


 


1- Association française créée en 1981 par des amoureux du chocolat traditionnel ; site : www.croqueurschocolat.com

2 - Directive 2000/36 du 23 juin 2000 relative aux produits de cacao et de chocolat destinés à l'alimentation humaine( Journal officiel n° L 197 du 03/08/2000)

3 - Elle fait partie d'un ensemble de sept directives dites " verticales " (car concernant chacune une denrée alimentaire) qui définissent des spécifications de produits.

4 - Voir l'étude effectuée par deux étudiantes de l'IEP Paris, Aude Altmann et Laetitia Desaubliaux : " La directive chocolat, l'analyse d'un problème public ", qui peut être consultée à l'adresse : www.lobbying-europe.com

5 - Pays d'Afrique, Caraïbes, Pacifique ou ACP

6 - Cacao en poudre, cacao; Cacao maigre en poudre, cacao maigre, cacao fortement dégraissé en poudre, cacao fortement dégraissé; Chocolat en poudre; Chocolat de ménage en poudre, cacao sucré, cacao en poudre sucré (complétée éventuellement par les mentions "maigre" ou "fortement dégraissé");Chocolat (complétée éventuellement par les mentions "vermicelle" ou "en flocons", "de couverture", et "aux noisettes gianduja");Chocolat au lait, à la crème ou au lait écrémé (complétée éventuellement par les mentions "vermicelle" ou "en flocons", "de couverture" et "aux noisettes gianduja");Chocolat de ménage au lait; Chocolat blanc; Chocolat fourré; Chocolate a la taza; Chocolate familiar a la taza; Bonbon de chocolat ou praline. Exceptionnellement, ces dénominations peuvent être utilisées pour d'autres produits ne pouvant être confondus, dans le pays de vente, avec ceux visés par la directive.

7 - Chiffres cités par Falila Gbadamassi : " Quand le chocolat nuit au cacao " - mardi 31 octobre 2000,www.afrik.com

8 - Amadou Atar : " Les vertus du karité dans le chocolat vont s'exporter " ,15 juin 2001, www.afrik.com

9 - Position du mouvement du Commerce Equitable sur la révision de la directive 73/241/CEE relative aux produits au cacao et au chocolat-Janvier 1997

 

Les PLus

 

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Jurisprudence

 

  • Commentaires de décisions de la Cour de Justice de l'Union Européenne et d'arrêts du Tribunal,
  • Conclusions des avocats généraux

 

 

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