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La Commission européenne fait marche arrière sur l'encadrement du droit de grève

 

Les nouvelles de l'Union européenne se concentrent depuis des mois sur la crise dans la zone euro et les mesures prises pour l'enrayer. Une information rendue publique il y a quelques jours est donc quasiment passée inaperçue, peu de medias l'ayant relayée.

Elle est pourtant importante.

En mars dernier, la Commission européenne présentait une série de propositions de législation européenne pour clarifier les droits des travailleurs détachés par leur entreprise dans un autre pays de l'Union européenne pour y effectuer une prestation de services (1). L'une de ces propositions était un règlement sur "l’exercice du droit de mener des actions collectives dans le contexte de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services". Appelé également "règlement Monti II", ce texte a pour but de préciser comment s'articulent le droit fondamental qu'est le droit de grève et les libertés économiques reconnues par les traités européens, dont la liberté de prestation de services. L'aricle 2 pose les principes généraux applicables aux relations entre ces droits fondamentaux et ces libertés économiques. Il les place sur un pied d'égalité, écartant que les uns ou les unes puissent primer sur les autres. Mais dans la mesure où il y a égalité, cette égalité implique que les uns et les autres doivent être respectés...ce qui peut justifier des restrictions à leur exercice. Et c'est bien ainsi que l'ont compris les syndicats qui, par la voix de la Confédération Européenne des Syndicats, ont dénoncé cette égalité qui conduirait à admettre des limites au droit de grève et ont exigé qu'en cas de conflit, les droits sociaux fondamentaux prévalent. La CES a donc contesté ce règlement qui "affaiblit le droit de grève".

Quelques mois plus tard, le 13/09/2012, le blog de l'eurodéputée Malika Benarab-Attou nous apprend que la Commission européenne a décidé de retirer sa proposition (3). C'est en effet à l'occasion d'une rencontre entre le Commissaire chargé de l'emploi, des affaires sociales et de l'inclusion, Laszlo Andor, et les députés membres de la commission emploi et affaires sociales du Parlement européen, que le Commissaire européen a annoncé le retrait de la proposition Monti II.

Pourquoi?

Ce retrait suit la réaction de plusieurs parlements nationaux qui ont fait usage de la possibilité qui leur est donnée de s'opposer à une proposition de législation européenne s'ils estiment qu'elle excède les compétences de l'Union européenne et viole le principe de subsidiarité (4). Ce contrôle et cette opposition sont un contrepoids majeur au pouvoirs des institutions européennes, et il sont rendus possibles, pour la première fois, par le Traité de Lisbonne (5). Il parait dès lors évident que la Commission a du, bon gré mal gré, tenir compte du refus des parlements nationaux.

C'est dans le protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité que se trouve détaillée la procédure (6). Celle-ci concerne tout "projet d'acte législatif " (propositions de la Commission, initiatives d'un groupe d'États membres, initiatives du Parlement européen, demandes de la Cour de justice, recommandations de la Banque centrale européenne et  demandes de la Banque européenne d'investissement, visant à l'adoption d'un acte législatif). Dans un délai de huit semaines à compter de la transmission d’un projet d’acte législatif, toute chambre d’un parlement national peut adresser aux institutions de l’Union un « avis motivé » exposant les raisons pour lesquelles elle estime que ce texte ne respecte pas le principe de subsidiarité. Lorsqu’un tiers des parlements nationaux a adressé un avis motivé, le projet doit être réexaminé. A l'issue de ce réexamen, la Commission peut décider de maintenir le texte, de le modifier ou de le retirer. Sa décision doit être motivée. Si une majorité simple des parlements nationaux s'est prononcée contre le texte proposé, et si la Commission décide de le maintenir, c'est au législateur européen, le Conseil et le Parlement européen, de se prononcer sur la compatibilité de la proposition avec le principe de subsidiarité.

En l'occurrence, plusieurs chambres parlementaires avaient critiqué la proposition de règlement, estimant qu'elle empiétait sur les compétences des états. C'est le cas des parlements belge, danois, finlandais, français, letton, maltais, polonais, portugais, suédois néerlandais, britannique et luxembourgeois. Ensemble, ils ont réuni 19 voix sur 54 en termes de votes pondérés, donc plus d’un tiers des voix (7).

En France, le Sénat avait voté le 22-05-2012 une résolution dans laquelle il estimait que "L'article 2 et le paragraphe 4 de l'article 3 de la proposition de règlement excèdent les compétences de l'Union en encadrant l'exercice du droit de grève " et proposait une autre rédaction : "l'article 2 devrait être rédigé de la façon suivante : « L'exercice de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services énoncées par le traité respecte le droit fondamental de mener des actions collectives, y compris le droit ou la liberté de faire grève».

La Confédération européenne des syndicats ne dit pas autre chose. Elle s'est d'ailleurs réjouie de la décision de la Commission européenne de retirer sa proposition. Mais elle remarque que ce retrait ne résout toutefois pas les problèmes créés par la jurisprudence européenne Viking et Laval (9) et qu' "Il est plus urgent que jamais de trouver une solution à la situation actuelle car celle-ci empêche les travailleurs de pleinement jouir de leurs droits. La Commission devrait garantir que les droits sociaux fondamentaux ne puissent pas être limités par les libertés économiques". Ce qui doit passer par un protocole de progrès social à joindre aux Traités européens qui précisera notamment que les libertés économiques et les règles de concurrence ne peuvent pas prévaloir sur les droits sociaux fondamentaux et le progrès social mais, au contraire, que les droits sociaux doivent avoir la priorité en cas de conflit entre ces droits et ces libertés (10).

01-10-2012

 


1 - Quels droits pour les travailleurs détachés dans l'Union européenne? La position de la Commission européenne: les propositions du 21/03/2012

2 - Proposition de règlement du Conseil relatif à l’exercice du droit de mener des actions collectives dans le contexte de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services, COM(2012) 130 final du 21/03/2012

3 - Malika Benarab Attou : "Carton jaune pour la Commission – Pas de restriction au droit de grève!", 13/09/2012

4 - La subsidiarité signifie que la décision doit se prendre au niveau le plus pertinent pour son efficacité, le plus proche possible du citoyen. Elle implique donc que (sauf  bien sûr dans les domaines où elle a une compétence exclusive), l’Union européenne n’intervient  que si cela se justifie par rapport aux autres niveaux de décision (national, régional ou local).

5 - Commentaire du traité de Lisbonne (5): le Traité de Lisbonne renforce le poids des parlements nationaux

6 – Elle est aussi connu dans le langage courant sour le terme de "carton jaune", une image empruntée aux règles du football.

7 - La Commission retire son projet de règlement sur l’exercice du droit de grève dans le contexte de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services, portail du Grand Duché du Luxembourg

8 – Sénat, Résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Conseil relatif à l'exercice du droit de mener des actions collectives, n°119, 22/05/2012

9 – Voir: Quels droits pour les travailleurs détachés dans l'Union européenne? La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne: la confrontation des libertés du marché intérieur et des droits sociaux

10 – CES, La CES se félicite de la décision du retrait du règlement Monti II, communiqué de presse du 1209/2012
 


 

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  • Conclusions des avocats généraux

 

 

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