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Remous autour du mandat d'arrêt européen

 

Le 18/07/2005, la Cour constitutionnelle allemande a annulé un mandat d’arrêt européen qui avait été délivré contre un membre supposé d’Al Quaïda afin d’obtenir son extradition vers l’Espagne (1). Cette décision a aussitôt été interprétée comme remettant en cause l’ensemble du dispositif de la décision cadre du 13 juin 2002 qui a instauré le système de mandat d’arrêt européen (2) . Divers commentateurs ont en effet conclu que la cour constitutionnelle allemande avait déclaré inconstitutionnelle une loi européenne, en l’occurrence la décision cadre.

La réalité est autre.

Un rappel: qu'est-ce que le mandat d'arrêt européen?

A la suite des attentats ayant frappé les Etats-Unis, le 11 septembre 2001, l'Union Européenne a manifesté sa solidarité avec les Etats-Unis, ralliant la coalition internationale contre le terrorisme. Elle a également décidé de se doter de nouveaux instruments d'action au nombre desquels figure le mandat d’arrêt européen.

La procédure traditionnelle d’extradition est remplacée par un mandat d’arrêt directement transmis d’autorité judiciaire à autorité judiciaire.et concerne aussi bien la phase précédent la sentence du procès pénal que la phase postérieure. Le mandat peut être émis pour des faits punis par la loi de l’état membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’au moins douze mois ou, lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue ou qu’une mesure de sûreté a été infligée, pour des condamnations prononcées d’une durée d’au moins quatre mois (article 1).

L’ exécution du mandat peut être subordonnée à la condition que le fait poursuivi constitue une infraction non seulement en applicarion du droit de l'état membre d'émission du mandat mais aussi en application du droit de l'état membre d'exécution (règle de la double incrimination). Mais cette condition est supprimée pour certaines infractions (terrorisme, traite des êtres humains, corruption, participation à une organisation criminelle, faux monnayage, homicide, racisme et xénophobie, viol, trafic de véhicules volés, fraude, y compris fraude aux intérêts financiers communautaires…) à condition qu'elles soient punies dans l'état membre d'émission du mandat par une peine d'un maximum d'au moins trois ans. Dans ces cas, point n’est besoin qu’il existe une double incrimination : l’extradition peut être possible même si le fait poursuivi n’est pas un délit dans le pays d’exécution (sollicité pour exécuter le mandat). Ce principe est cependant atténué par les possibilités données aux états de refuser d’exécuter le mandat.

Les cas de refus d'exécution du mandat d'arrêt sont énumérés aux articles 3 et 4. L’exécution doit être refusée:
- quand un jugement définitif a déjà été rendu par un état membre pour la même infraction contre la même personne,
-quand l'infraction est couverte par une amnistie dans l'état membre d'exécution,
-quand l’âge de la personne concernée ne permet pas de la considérer responsable dans l'état membre d'exécution.
En dehors de ces hypothèses dans lesquelles le refus d’exécution est une obligation, les états ont la faculté de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt dans différents cas (par ex : quand la personne est poursuivie pour les mêmes faits dans l’état membre d’exécution ; quand l’action pénale est prescrite ; quand le mandat d’arrêt porte sur des infractions qui ont été commises en tout ou partie sur le territoire de l’état membre d’exécution (3) ;…).

Contrairement à l'extradition qui comporte une phase politique ,la procédure d'exécution du mandat d'arrêt européen est essentiellement judiciaire. Le recours administratif qui permettait de revenir sur la décision politique n'existe donc pas .

 

Un dispositif critiqué

La procédure du mandat d’arrêt européen est-elle protectrice des droits individuels ? Outre qu'elle est soumise à des textes généraux comme la Convention européenne des droits de l'homme , elle prévoit des garanties comme: la présence d'un avocat (et au besoin d'un interprète),dès le moment de l'arrestation de la personne en exécution du mandat (article 11);l'obligation pour l'autorité judiciaire de l'état d'arrestation de se prononcer sur le maintien en détention de la personne arrêtée en fonction des garanties de représentation qu'elle présente avec possibilité de la laisser en liberté si elles sont jugées satisfaisantes (art.12) ; la limitation du délai de la procédure du mandat à 90 jours maximum (art.17). Mais ces garanties sont jugées insuffisantes par les opposants à une procédure jugée « liberticide ».

Dès l’origine, des critiques ont fait valoir la faiblesse des garanties accordées aux personnes contre qui a été émis un mandat par rapport à celles qui existent dans le cadre d'une extradition ( procédure contradictoire et voies de recours notamment).D'où la dénonciation par certains praticiens du droit français du caractère " liberticide " de la procédure de mandat d'arrêt européen (4).

Le Conseil d’Etat français a pour sa part estimé, dans un avis rendu le 26 septembre 2002 (5) que la faculté de refuser l’extradition pour des raisons politiques n’était pas suffisamment clairement affirmée dans la décision-cadre qui de ce fait était en contradiction avec les principes constitutionnels français. En effet, au terme d’une jurisprudence bien établie, un principe fondamental reconnu par les lois de la République (principe de valeur constitutionnelle) est que l’état puisse refuser l’extradition lorsqu’elle est demandée dans un but politique (6). Or, si cette possibilité est reconnue dans l’un des considérants de la décision cadre, en revanche, elle ne l’est pas dans le corps du texte puisque les articles 3 et 4 qui dressent des listes de motifs de non-exécution obligatoire ou facultative du mandat d’arrêt européen, ne comprennent pas la nature politique des infractions. Une révision de la constitution française a donc été nécessaire pour autoriser la transposition de la décision cadre en droit français.

L’  Allemagne ne s’est pas embarrassée de tant de précautions, d’où la décision d’annulation d’un mandat d’arrêt européen par la cour constitutionnelle.

 

La décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande du 18 juillet 2005 remet-elle en cause le mandat d'arrêt européen?

Le mandat d'arrêt européen prend la forme d'une décision-cadre ce qui signifie qu'elle lie les états quant aux résultats à atteindre, mais leur laisse le choix de la forme et des moyens. Or, dans une affaire récente, la loi d’application allemande a été jugée contraire à la constitution fédérale par la cour constitutionnelle.

Considéré comme un relais financier des réseaux Ben Laden, M. Darkazanli avait été mis en mis en accusation par le juge espagnol antiterroriste Baltasar Garzon, qui avait demandé son extradition vers l'Espagne depuis l’Allemagne où il résidait. Arrêté en octobre 2004, il était placé sous écrou dans l’attente de son extradition et avait fait formé un recours devant la cour constitutionnelle fédérale contestant la légalité du mandat d’arrêt européen délivré par le juge. La Cour lui a donné raison dans sa décision du 18 juillet.

Le problème posé en l’espèce venait du fait que M. Darkazanli possède la double nationalité allemande et syrienne. La loi allemande interdit l'extradition par l'Allemagne de ses nationaux. Mais pour la rendre compatible avec le mandat d’arrêt européen il a été précisé dans un texte ultérieur que l’extradition est possible vers un état membre de l'Union européenne si elle est autorisée par une loi, à condition que celle-ci respecte les droits fondamentaux des citoyens. Or, en l’espèce, la Cour a considéré que l’Allemagne n’a pas correctement transposé la décision cadre, la loi de transposition n’offrant pas aux ressortissants allemands une protection suffisante, d'une part parce qu'elle n'a pas prévu de recours devant un tribunal allemand, d'autre part parce qu'elle n'a pas utilisé toutes les marges de manoeuvre que lui permettait la décision-cadre européenne afin de garantir les droits fondamentaux. Dans cette affaire le mandat est privé d’effet car la loi allemande de transposition est contraire à la constitution. Ce n'est donc pas le mandat européen , mais un mandat, qui est privé d'effet. La décision de la Cour constitutionnelle ne remet pas en cause le mandat d'arrêt européen. Elle le rend inapplicable aux ressortissants allemands tant que la loi de transposition n’introduit pas plus de garanties pour les libertés individuelles. Autrement dit, c’est au législateur allemand de revoir sa copie.

Dans un communiqué du même jour, la Commission européenne a « regretté » que la mauvaise application par l'Allemagne de la législation européenne ait provoqué la remise en liberté de M.Darkazanli et « appelé » les « autorités allemandes à s'assurer que les lacunes de la législation allemande soient réparées le plus vite possible ». Rappelons que les états s’exposent à des sanctions financières s’ils ne transposent pas ou transposent incorrectement la législation communautaire. Mais il ne sera probablement pas nécessaire d’en arriver là.

Sur un plan plus général, il est réconfortant de constater que des juges sont là pour rappeler que le combat nécessaire contre le terrorisme ne doit pas être mené au détriment des libertés publiques et des droits fondamentaux.
 

05/08/2005

 

Actualisation:

La remise de citoyens allemands est possible depuis la nouvelle loi du 20 juillet 2006, entrée en vigueur le 2 août 2006.

 


1 - Voir: page de la décison de la Cour constitutionnelle fédérale allemande

2 - Décision-cadre 2002/584/JAI , du 13 juin 2002, relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (Journal officiel L 190 du 18.07.2002).

3 - C’est pour cette raison que la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Pau s’était opposée en juin 2004 à l'extradition vers l'Espagne de trois militants basques français contre lesquels le juge espagnol Garzon ( déjà lui !) avait lancé un mandat d'arrêt européen.

4 - " L'antiterrorisme contre le droit ", par Evelyne Sire-Marin, Présidente du Syndicat de la magistrature français ( Libération du 2 octobre 2001 ). Voir aussi le site du syndicat de la magistrature : www.syndicat-magistrature.org

5 - Le Conseil d’Etat avait été saisi par le premier ministre d’une demande d’avis sur la question de savoir si la transposition de la décision-cadre du 13 juin 2002 était de nature à contredire des règles ou des principes constitutionnels

6 - La notion d'infraction politique est relativement variable. Si certaines infractions sont considérées comme étant par « nature » politiques comme les délits de presse, par exemple, d’autres peuvent être requalifiées. Il est ainsi des actes terroristes qui aujourd’hui sont criminalisés alors que par le passé la violence terroriste avait pu se voir reconnaître un caractère politique. Dès lors, le traitement des auteurs de ces infractions est également variable.

 

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