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Quel avenir pour l'espace Schengen? (3ème partie)

 

Révision des règles Schengen ?

En février 2008, déja, la Commission européenne avait présenté une série de communications sur la gestion des frontières extérieures de l'Union européenne.

Les gesticulations franco italiennes face à la « vague » d’immigration de tunisiens ont relancé le débat conduisant à s’interroger sur la porosité des frontières extérieures de l’Union et sur la fiabilité du système de Schengen que d’aucuns se sont empressés de remettre en question.

Dans l'espace Schengen, l’état membre qui a une frontière avec un pays tiers a pour responsabilité d’exercer le contrôle de cette frontières de façon fiable non seulement vis à vis de ses citoyens mais aussi vis à vis des autres états de l’espace Schengen puisqu’il ne s’agit plus seulement de contrôler l’accès à son propre territoire mais à celui de l'espace Schengen dans son ensemble.

La communication de la Commission propose de mieux utiliser les outils de coopération des états membres de l’espace Schengen et de revoir certaines règles, essentiellement en matière de décision.

 

L’entraide nécessaire

En contrepartie de leur rôle de « gardiens » des frontières de l’UE, les États membres confrontés à une pression importante à leurs frontières extérieures doivent bénéficier de la solidarité de leurs partenaires via des outils d’intervention comme Frontex (11), ou la force d’intervention rapide Rabit (12), ou encore la mise en place du système européen de surveillances des frontières (EUROSUR) (13) qui est actuellement un projet pilote et devrait faire cette année l’objet d’une proposition législative de la Commission afin de le généraliser.

Mais ces outils ne suffisent pas selon la Commission européenne qui souligne que « Les ressources financières disponibles au titre du programme général «Solidarité et gestion des flux migratoires» (programme général composé de quatre fonds importants dans le présent contexte, à savoir le Fonds pour les frontières extérieures, le Fonds européen pour les réfugiés, le Fonds européen pour le retour et le Fonds européen d'intégration)  sont insuffisantes pour répondre à toutes les demandes d'assistance". De même l’efficacité des moyens opérationnels est compromise par le fait qu’ils ne peuvent être activés qu'au cas par cas et sont totalement subordonnés à la volonté des états membres d'apporter leur aide de leur propre initiative. « Cet état de fait » souligne la Commission « expose l'Union à la critique et menace de saper la confiance des citoyens à son égard ». Le contenu des nouvelles propositions annoncées par la Commission pour remédier à ces lacunes n’est pas connu. Tout au plus la communication précise-t-elle qu’ « afin de mieux coordonner les contrôles aux frontières extérieures, la Commission présentera en 2012 des propositions suggérant des bonnes pratiques aux États membres », l’idée étant « d’utiliser pleinement les ressources disponibles aux points de passage frontaliers en réalisant des économies d’échelle et en évitant les doubles emplois ». A ce titre, la coopération entre les agences européennes (FRONTEX, EUROPOL) et les  autorités douanières et policières nationales devra être améliorée et renforcée. est essentielle, tout particulièrement entre les autorités de surveillance.

Sur le principe de la coopération renforcée, les pays membres ne devraient pas être en désaccord avec les propositions de la Commission. Claude Guéant, par exemple, a dit  qu'il avait proposé que les moyens de Frontex, soient revus à la hausse, de mettre sur pied un système européen de garde-frontières  (non pas par la création d’un nouveau corps de fonctionnaires européens, mais par une mutualisation des équipes nationales existantes) et que les ministres de l'Intérieur des états membres puissent se réunir périodiquement pour donner une impulsion à cette politique.

Mais on peut parier sur un affrontement entre institutions européennes et états sur la nécessaire « autonomie » d’action des premières qui passe par des moyens financiers accrus (difficile en temps de restrictions budgétaires voir l'article : la Commission face aux oncles Picsou), des moyens opérationnels propres ou relevant d’une prise décision communautaire qui exclue le  pouvoir discrétionnaire des états.

Outre les moyens de surveillance des frontières, l’Union européenne dispose d’un mécanisme particulier celui de la directive relative à la protection temporaire (14) qui permet d’équilibrer les efforts des États membres pour accueillir les personnes déplacées, en application du principe de solidarité communautaire en organisant la répartition des migrants dans les différents pays de l'Union européenne de manière proportionnée. Ce texte prévoit une période de protection maximale de trois ans au cours de laquelle un récépissé valable 6 mois et renouvelable est remis aux réfugiés concernés. C’est le Conseil européen qui est compétent pour décider de la fin de la protection temporaire, au vu de la situation dans le pays d’origine.

 

La mobilité dans l’espace Schengen

Le traité de Schengen prévoit la libre circulation des migrants régulièrement entrés dans un pays membre , ayant reçu un titre de séjour de ce pays et remplissant les conditions posées (disposer des ressources nécessaires au séjour et de la possibilité de retourner dans le pays d’origine).

Pour rendre le franchissement des frontières plus rapide pour les voyageurs réguliers, la Commission européenne propose de s’inspirer des pratiques de certains états en mettant en place un régime d’entrée/sortie européen grâce auquel les données relatives aux franchissements de la frontière par les ressortissants de pays tiers seraient accessibles aux autorités chargées des contrôles aux frontières et de l’immigration. Ce régime complèterait le système VIS qui existe pour les titulaires de visas (15).

 Il permettrait, souligne la Commission, de mieux contrôler le séjour des titulaires de visas et « d’empêcher le dépassement de la durée de séjour autorisée qui, contrairement aux idées reçues, constitue la principale source d’immigration irrégulière dans l’UE ». Une procédure automatisée de contrôle aux frontières faciliterait l’accès à l’Union pour les voyageurs fréquents grâce à un programme d’enregistrement des voyageurs ressortissants de pays tiers.

 

Les clauses de sauvegarde

La libre circulation dans l’espace Schengen n’est pas absolue. Le traité a été complété par différents textes qui prévoient des exceptions. C’est le cas du règlement n°562/2006 du 15 mars 2006, aussi appelé code frontières Schengen car il compile les règles de franchissement des frontières par les personnes. Il comporte des clauses permettant aux états…de réintroduire des contrôles aux frontières intérieures (chapitreII, articles 23 à 27). Ainsi, en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, « un État membre peut exceptionnellement réintroduire le contrôle à ses frontières intérieures durant une période limitée d'une durée maximale de trente jours ou pour la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à trente jours, conformément à la procédure prévue à l'article 24 ou, en cas d'urgence, conformément à la procédure prévue à l'article 25. L'étendue et la durée de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures ne doivent pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour répondre à la menace grave .

2. Lorsque la menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure se prolonge au-delà de la durée prévue au paragraphe 1, l'État membre peut maintenir le contrôle aux frontières pour les mêmes raisons que celles visées au paragraphe 1 et, en tenant compte d'éventuels éléments nouveaux, pour des périodes renouvelables ne dépassant pas trente jours, conformément à la procédure prévue à l'article 26 ».

Les articles suivants précisent que l’état doit informer ses partenaires et la Commission des mesures prises et que celle-ci peut « émettre un avis » sur lequel les états discutent. On le voit, les autorités françaises pouvaient parfaitement sans faire tout ce remue ménage médiatique prendre des mesures, si elles estimaient que l’ordre public était menacé (ce qu’elles ont d’ailleurs fait avec le blocage du train de Vintimille) et se concerter avec leurs partenaires, Italie comprise pour trouver une solution.

De plus, différentes dispositions du code frontières Schengen permettent aux états de faire des contrôles inopinés dans les zones frontalières de leur territoire dans le cadre de l’exercice des compétences de police, par exemple afin de lutter contre la criminalité transfrontalière. Les états ne s’en privent d’ailleurs pas.

Auditionné par la Commission de l’Assemblée Nationale pour les affaires européennes, le 24/05/2011 Claude Guéant, Ministre de l’intérieur, donnait sa version, en des termes plus mesurés que ceux précédemment utilisés, des raisons des dissensions franco italiennes : « une difficulté est survenue lorsque, le 10 avril, le gouvernement italien a pris la décision d'octroyer aux milliers de Tunisiens récemment arrivés des autorisations de séjour provisoire, de surcroît bientôt assorties de titres de voyage pour les autres pays européens. Dans l'esprit des autorités italiennes, il s'agissait d'une mesure temporaire qui constituait la contrepartie d’un engagement obtenu du gouvernement tunisien de rétablir une surveillance sérieuse à ses frontières pour limiter les départs irréguliers. Nous ne pouvions que nous féliciter de l'accord intervenu entre Rome et Tunis. En revanche, la décision italienne de délivrer des documents à ces migrants irréguliers apparaissait contestable au regard des règles de Schengen. Cette décision a du reste été contestée par les autorités européennes, notamment par le président du Conseil européen que j’ai rencontré il y a quelques jours. De plus, elle comportait pour nous le risque d'une régularisation en masse, pour une durée fixée à six mois. Sans me livrer à une exégèse des textes en vigueur, je dirai que les Italiens ont exploité une zone grise des textes européens » (16).

On peut penser que les règles de Schengen seront donc précisées pour éviter ces couacs et que dans des « circonstances exceptionnelles », en cas de « crise systémique » (dit le ministre français  de l’intérieur) des contrôles frontaliers nationaux au sein de l'espace Schengen puissent être rétablis, comme l’a laissé entendre la commissaire à la justice et aux affaires intérieures, Cecilia Malmström. Ces circonstances exceptionnelles seraient un afflux massif et inattendu de migrants dans un certain nombre d'états membres et l’inaction ou l’impuissance de l’état membre responsable du contrôle de la frontière extérieure où se produisent les tensions. L’application de la directive sur la protection temporaire pourrait ensuite prendre le relais. des « clauses de sauvegarde ».

 

Améliorer la gestion et l’application de Schengen

La Commission plaide pour un « Un système clair pour la gouvernance de Schengen ». En clair, elle veut en finir avec le système actuel qui repose sur l’intergouvernementalité (décision des états, chaque état conservant le droit de s’opposer et de bloquer toute initiative) pour assurer l'application des règles communes. La Commission propose de lui substituer une « approche communautaire » avec la participation d’experts des États membres et de FRONTEX, sous la direction de la Commission. Il s’agit donc d’instaurer une supervision européenne de la façon dont les états appliquent l’accord de Schengen, afin, par exemple, que ceux-ci ne profitent d’une définition élargie des clauses de sauvegarde pour rétablir unilatéralement des contrôles frontaliers au moindre prétexte, dès qu’un point faible aux frontières extérieures de l'Union apparaît. Selon le Ministre français de l’intérieur : « Le contrôle est à l’heure actuelle strictement interétatique. Il importe assurément de le conserver, mais en prenant en considération, outre les vœux des Etats, ceux de la Commission. Un mode de gouvernance plus politique est nécessaire ».

Réunis les 22 et les 23 juin les Chefs d’état et de gouvernement ont précisé: « l'application de règles communes, notamment par le recours au système d'évaluation Schengen, devrait être encore améliorée et consolidée afin qu'une réponse efficace puisse être apportée aux défis à venir. À cet effet, il est nécessaire de disposer d'un système de suivi et d'évaluation efficace et fiable. Le futur système d'évaluation Schengen permettra de renforcer, d'adapter et d'étendre les critères sur la base de l'acquis de l'UE. L'évaluation devrait se faire au niveau de l'UE avec le concours d'experts des États membres, de la Commission et des organismes compétents. La Commission est invitée à rendre régulièrement compte des résultats des évaluations et, si nécessaire, à proposer des mesures permettant de combler les lacunes recensées ». Ils ont demandé la mise en place d’un « mécanisme… pour faire face à des circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de la coopération Schengen, sans porter atteinte au principe de la libre circulation des personnes » afin d'aider un État membre « soumis à une forte pression aux frontières extérieures » et « en tout dernier ressort », la définition d’une clause de sauvegarde « afin d'autoriser, à titre exceptionnel, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures en cas de situation véritablement critique, lorsqu'un État membre n'est plus en mesure de respecter ses obligations au titre des règles Schengen ». Les chefs d’état et de gouvernent précisent qu’ « Une telle mesure serait prise sur la base de critères objectifs précis et d'une évaluation commune et aurait une portée et une durée strictement limitées, compte tenu de la nécessité de pouvoir réagir à des situations d'urgence ». La Commission européenne a reçu mandat de présenter en septembre une proposition sur le mécanisme et la clause de sauvegarde.

Mais le 07/07/2011, le Parlement européen a voté une résolution s’opposant "à tout nouveau mécanisme de Schengen poursuivant d'autres objectifs que la promotion de la liberté de circulation et le renforcement de la gouvernance européenne de l'espace Schengen", et a rappelé, avec raison, que le code frontières Schengen actuel prévoit la possibilité de réintroduire des contrôles aux frontières intérieures "uniquement en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure". Pour les eurodéputés la proposition de la Commission doit définir "l'application stricte" de ces articles par les États membres. On le voit, le Parlement n’est pas sur la même ligne que le Conseil.

S’il y a un accord entre les institutions, c’est pour estimer que la politique d’immigration commune de l’UE doit être renforcée et que la communication de la Commission constitue une base de discussion. L’ « épisode » désolant des migrants tunisiens pourrait avoir pour conséquence de renforcer la politique d’immigration de l’Union européenne. Toute la question est de savoir quels seront les moyens accordés aux institutions européennes et qui aura autorité pour autoriser les mesures nécessaires à l’application de l’accord, notamment l’activation de la clause de sauvegarde. Pour le Parlement européen, il n’y a pas de doute :"Le nouveau système d'évaluation Schengen devrait être davantage communautaire, se baser sur une approche européenne, et impliquer les institutions européennes, contrairement à un système purement intergouvernemental". Les semaines à venir nous diront si toute cette agitation accouchera d’une souris ou d’une véritable réforme.

21/07/2011

 


11 - Règlement n°2007/2004 du 26/10/2004 portant création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des états membres de l'Union européenne

12 - Règlement nº 863/2007 du 11/07/2007 instituant un mécanisme de création d’équipes d’intervention rapide aux frontières et modifiant le règlement (CE) no 2007/2004 du Conseil pour ce qui a trait à ce mécanisme et définissant les tâches et compétences des agents invités

13 - Communication de la Commission du 13 :02/2008 relative à la création d'un système européen de surveillance des frontières (EUROSUR)

14 - Directive 2001/55 du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil

15 - Règlement n° 767/2008 du 9 juillet 2008 concernant le système d’information sur les visas (VIS) et l’échange de données entre les États membres sur les visas de court séjour

16 - Commission des affaires européennes, compte rendu n°204, 24/05/2011

 

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